L'UMP à la recherche d'un espace politique

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4 millions de personnes dans la rue. Peut-être plus. Toute la France rassemblée pour affirmer, en coeur, « être Charlie ». Toute ? Non, on le sait bien. Toute la France dans sa diversité, générationnelle, sociale, politique ? Peut-être pas.

A l'occasion d'un sondage réalisé par Harris Interactive pour LCP, Jean Daniel Lévy effectue un point avec des précisions très importantes :

" nous nous sommes intéressés au profil des personnes ayant affirmé avoir participé aux marches du samedi 10 et dimanche 11 janvier. Plusieurs enseignements se dégagent.

Dans un contexte global marqué par les émotions, les Français n'ont pas tous adopté la même attitude. Et pas toujours nommé à l'identique tant les événements que la mobilisation. Quelles informations pouvons-nous identifier ?

Manifestants et non manifestants ne restituent déjà pas de la même manière les événements : si « l'horreur » est restituée par toutes les populations, la « tristesse » exposée par les manifestants cède le pas à la « colère » chez ceux n'étant pas descendus dans la rue, la « barbarie » au « terrorisme »...

Plus de Français déclarent dans les sondages qu'ils ont participé aux marches que cela ne s'est réellement produit. Dans le cadre de notre enquête, ce n'est pas loin d'un Français sur quatre qui affirme avoir, d'une manière ou d'une autre, « battu le pavé » le week-end dernier. On le sait le recueil de données d'opinion par Internet limite les expressions « consensuelles » et, souvent, permet une libération de parole. Celle-ci n'est pas soumise au jugement d'un enquêteur. Le fait qu'une proportion plus importante que la réalité affirme avoir défilé renseigne sur ce souhait - au final non exaucé - de prendre sa part à ce moment de communion nationale et sur la connotation positive de cet événement.


Trois populations distinctes se dégagent : ceux affirmant avoir défilé (24%), ceux indiquant avoir souhaité le faire mais n'étant pas « passés à l'acte » (54%) et ceux n'étant, volontairement, pas descendus dans la rue (22%).

Ces trois groupes, aux proportions différenciées, recouvrent des franges de population différentes.

Attachons nous à regarder les « manifestants » : on retrouve une sur-représentation de personnes âgées de 50 ans et plus (notamment 29% des 50-64 ans) soit, en quelque sorte, une population que l'on pourrait qualifier de soixante-huitarde. Socialement, on identifie en proportion plus de cadres et professions libérales que d'ouvriers (27% contre 20%) ce qui se remarque également lorsque l'on porte le regard sur le niveau de diplôme (32% des personnes les plus diplômées).

Enfin, politiquement la structure est illustrative de cette frange de population manifestante. Elle est très nettement de Gauche. 42% des sympathisants socialistes indiquent avoir marché contre 16% de ceux UMP.

Ceux, à l'inverse, affirmant n'avoir pas eu l'intention de manifester se caractérisent essentiellement à travers un critère : la proximité politique. 36% des Français proches du Front National, 43% des électeurs de Marine Le Pen en 2012, 28% des sympathisants UMP se retrouvent dans cette frange de population.

C'est donc une population plutôt aisée, insérée et de Gauche qui est descendue le week-end dernier et une autre, à droite - voire à l'extrême-droite - qui, volontairement, n'a pas adopté la même attitude.

Les manifestants ont-ils été mus par la peur ? La réponse est négative.

Dans un contexte où 63% des Français indiquent se sentir en France en sécurité (pour mémoire ce chiffre était légèrement inférieur en septembre dernier (61%) lors d'une enquête menée après que l'otage Français Hervé Gourdel a été exécuté en Algérie). Sur 100 Français indiquant être en sécurité, 29 affirment avoir manifesté contre 16 ne se sentant pas en sûreté. 9% des personnes mobilisées indiquaient que « la peur » constituait l'un des mots qualifiant le mieux ce qu'ils avaient ressenti contre 14% de l'ensemble de la population française.


Alors pourquoi se sont-ils mobilisés ? D'abord pour « défendre les valeurs fondamentales de la République et notamment le respect de la liberté d'expression » (81% tout à fait d'accord avec cette proposition), ensuite pour « montrer au monde entier l'unité des Français face au terrorisme ». Cette partie de la France qui croit dans la République et qui attend d'elle sa capacité à pouvoir porter, par-delà les frontières et quelles que soient les circonstances, ses valeurs. Ces rassemblement ont-ils pour autant permis « d'exprimer le refus d'un amalgame entre musulmans et terroristes islamistes » ? pas vraiment. Tout donne à voir déjà, une mobilisation réaffirmant des valeurs et dont les effets (l'efficacité) n'étaient pas anticipés. Sans que cela n'obère leur volonté de se manifester.

D'ailleurs, lorsqu'elles répondent spontanément, les personnes interrogées affirmant avoir manifesté mobilisent deux termes de la devise nationale « liberté », « fraternité » et, également, la « solidarité », « l'unité », le « rassemblement ». Un peu la République. Presque curieusement pas la laïcité. Une mobilisation positive en quelque sorte.

A l'inverse, les personnes n'ayant pas souhaité manifester abordent deux thématiques singulières : « la récupération politique » et l'inutilité de cette démarche. Deux visions des événements, deux lectures de la mobilisation. D'un côté comme de l'autre, très peu de références aux musulmans ou encore aux juifs.

Cette population manifestante est-elle prête à tout accepter au nom de la lutte contre le terrorisme ? Pas vraiment. Déjà, elle privilégie la prévention : « Améliorer la coopération avec les services de renseignements étrangers » (79%) [les américains n'apparaissent pas en l'espèce comme un concurrent dont nous devons nous méfier] , « Assurer une meilleure éducation civique dans les écoles pour mieux partager les valeurs fondamentales de la France » (75% tout à fait d'accord), « Repenser le système de prise en charge des personnes en prison » (72%) ; ensuite durcir la loi « contre les personnes revenant de pays dans lesquels elles auraient pu participer à des camps d'entrainements au djihad » (70%) ; enfin, et le débat peut s'ouvrir sur ce point en France : « Mieux contrôler les réseaux sociaux, même si cela implique une limitation des libertés individuelles » qui ne recueille l'assentiment fort que de 40% des manifestants.

Oui, une partie de la France a été dans la rue. Quant bien même celle-ci était innombrable, il apparait important de considérer qu'elle n'est pas tout à fait le reflet de l'ensemble de la population.

C'est une partie de la France plutôt insérée, se sentant légitime à prendre la parole qui a manifesté. Cet événement peut être lu comme un moment d'émotion, de réaffirmation des valeurs de la République et d'ouverture aux autres. Pas nécessairement de la manière dont les Français vont se comporter au cours des semaines à venir. Si 75% des Français affirmant avoir manifesté indiquent faire confiance à François Hollande et au gouvernement pour « faire des propositions efficaces pour lutter contre le terrorisme » les personnes n'ayant pas eu l'intention de manifester ont plus tendance à accueillir favorablement les propositions de Nicolas Sarkozy (45%) et de Marine Le Pen (40%).

Enquête réalisée en ligne du 12 au 13 janvier 2015. Echantillon de 1203 personnes représentatif de la population française âgée d'au moins 18 ans, à partir de l'access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région d'habitation de l'interviewé(e)."

Les remarques de Jean Daniel Lévy méritent une attention particulière. Parce que la situation actuelle est trans-courants, elle entraîne trois conséquences politiques majeures :

1) La fin (peut-être ?) de l'image de "mou" de François Hollande qu'il traînait depuis l'entrée en Présidence,

2) une UMP à la recherche d'un espace politique. Elle a vite fait bloc autour du Président de la République dans des conditions d'ailleurs peu habituelles en France. Son enjeu est désormais de trouver l'occasion d'en sortir sans condamner ses premiers efforts,

3) l'interprétation sur le fond de la manifestation : confiance ou exigence vis à vis des politiques ? Si c'est la seconde hypothèse, les prochaines semaines seraient alors déterminantes pour fixer les vraies conséquences politiques de ce drame.

  • Publié le 17 janvier 2015

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