Hillary Clinton : un cas d'école de storytelling

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Hillary Clinton vient de produire un exemple caricatural de la prime des commentaires sur les faits. Pendant 48 heures, a été organisé un barnum médiatique irréel ayant pour fait concret une vidéo de 2 minutes et 28 secondes dont 92 mots prononcés par l'intéressée.

92 mots d'une banalité absolue à partir desquels pourtant les médias concluent qu'Hillary Clinton a changé, qu'elle est à l'écoute, qu'elle n'est plus autoritaire ... : autant de conclusions objectivement impossibles à tirer des 92 mots.



C'est l'équipe de campagne qui a monté l'histoire à raconter. Une histoire totalement déconnectée des faits mais que les médias colportent à volonté.

Le marketing du storytelling règne. Il règne d'autant plus que dans le même temps les médias indiquent qu'aucun d'entre eux n'a pu rencontrer la candidate, aveu le plus explicite qu'il s'agit de rapporter des commentaires venus d'ailleurs. Irréel !

Irréel alors même que les causes de sa défaite en 2008 restent les mêmes en ... 2016.

En effet, il faut revenir sur les facteurs majeurs de sa défaite en 2008.

Hillary Clinton 1

La présidentielle 2008 a ses racines directes dans la campagne dite du mid term en novembre 2006. Une élection qui marque une sévère défaite républicaine avec le réel tournant du scandale inattendu dit « le scandale Foley ».

Ce tournant traduit deux phénomènes importants. La place prépondérante de la morale pour « l’Amérique profonde », dont le droite religieuse qui a contribué aux dernières victoires républicaines de façon décisive depuis 2000, conduit à une forte abstention qui défait des sortants Républicains dans des fiefs classiques. La propension immédiate de cette « Amérique profonde » à stigmatiser tous les « pêchés » des Capitales de la Côte Est dont Washington, capitale politique ou New York, capitale économique et médiatique et à souhaiter du neuf pour évoluer vers un candidat d’un profil plus modeste, au cursus moins aisé et issu de territoires intérieurs moins privilégiés.

Pendant cette élection dite du mid term, Hillary Clinton est candidate au renouvellement de son mandat de Sénatrice de New York. Elle a conscience du changement qui prend corps dans le pays et profite de cette circonstance pour tenter de changer son image de marque.

Elle sait que le pays attend une candidature chaleureuse, méritante et charismatique.

Face à cette demande, son offre est éloignée. Si Hillary Clinton est charismatique, elle n’est en revanche pas chaleureuse et son parcours personnel méritant est désormais éclipsé par les « années Maison Blanche ».

Contrairement à certains reportages parus dans des journaux « grand public » s’enthousiasmant alors sur la candidature d’Hillary Clinton à la prochaine présidentielle, il importe d’avoir à l’esprit trois repères concrets pour juger de l’état de l’opinion à son égard.

Dans sa propre circonscription sénatoriale, elle serait largement battue si son opposant républicain avait été Rudolph Giuliani. Les sondages font classiquement état d’écarts de près de 6 points. Seulement 33 % des électeurs de l’Etat de New York déclarent souhaiter sa candidature à l’élection présidentielle de 2008. Enfin, à la question ouverte suivante « si vous aviez une question à poser à Hillary Clinton, ce serait laquelle ? ». La réponse qui arrive très largement en tête pour l’opinion publique américaine est tout simplement …: « faites vous chambre à part avec Bill Clinton ? ».

Si personne ne peut contester les qualités intellectuelles d’Hillary Clinton ni le recentrage qui a déjà été le sien dans le cadre des votes au Sénat, son parcours demeure très exposé à de nombreux scandales qui ont marqué l’opinion publique américaine même si les issues ont été souvent en sa faveur. Ces « affaires » l’ont positionnée dans un registre fait de « souffre » et d’usure qui est à l’opposé des attentes de l’opinion américaine.

Elle ne parviendra jamais à corriger son image initiale.

Elle veut conduire une campagne de proximité mais matériellement ce choix n’est pas aisé à mettre en œuvre.

En effet, lors des primaires, par son statut d’ancienne First Lady, Hillary Clinton est à ce jour la seule candidate à disposer d’une protection des services secrets Américains ; ce qui complique considérablement les choses.

Hillary Clinton entend alors construire ses visites comme un retour aux « connaissances d’antan ». Elle rappelle en permanence qu’elle vient revoir de vieux amis. Même si dans le concret de l’organisation de l’agenda, l’essentiel pour elle consiste surtout à rencontrer toutes les personnalités qui comptent dans l’appareil du Parti Démocrate de l’Etat en question.

Au niveau de son discours, Hillary Clinton se veut simple, proche, à l’écoute. C’est là que les services officiels de sécurité compliquent tout et la repositionnent immédiatement du côté de son ancien statut…

Dès le début, avant même la montée en puissance incontournable de ses concurrents, rien n’était donc acquis pour l’ex First Lady, loin s’en faut.

Trois facteurs expliquaient cette situation.

Tout d’abord, Hillary Clinton est la candidate qui suscite le plus grand nombre de publicités négatives. Ces « negative ads » font des ravages. Elle bat les records de sites négatifs. C’est donc une candidate très exposée qui devient un favori défavorisé. Ensuite, les électeurs attendent « un nouveau départ » c'est-à-dire un nouveau leader avec des idées nouvelles. Les anciens leaders « ont fait leur temps ». Une réelle aspiration au changement de têtes se fait jour. Hillary Clinton éprouve des difficultés à trouver ce souffle du neuf. Enfin, la mode est à la proximité, au « meeting au coin de rue ». Les idéologies sont renvoyées au musée. Or, Hillary Clinton a une image durable d’idéologue.

Bien davantage, son discours, toujours très conceptuel, donne le sentiment d’être idéologue. C’est l’idéalisme frustré, l’absence de naïveté et d’émotion et surtout l’ambition de la réussite. Toutes ces images pénalisent fortement la candidate démocrate. Le pays veut reléguer les idéologies traditionnelles au musée. Il attend une nouvelle génération qui soit attachée au pragmatisme, à l’équité et surtout soucieuse de « résoudre les problèmes ».

C’est cette ambiance «de nouveau leadership» qui plombe Hillary Clinton et qui laisse des espaces pour d’autres candidats dont Barack Obama.

Hillary Clinton ne parvient pas à incarner ce « neuf ». Bien davantage, même lorsqu’elle veille à énoncer des « idées neuves », elles paraissent comme de « vieilles recettes » déjà mises en avant sous la Présidence Clinton. Hillary Clinton n’avait pas le tempérament à la mode. Elle dégageait du radicalisme, du professionnalisme politique et de l’expérience là où le pays attendait du pragmatisme, de l’innovation et de la jeunesse.

Elle conduit alors une campagne qui devient agressive pour exposer ses concurrents à la gaffe qui valoriserait son expérience. Son sort est alors passé dans les mains de ses concurrents. Avec leurs erreurs, de nouveaux déclics ré-ouvriraient des espaces pour Hillary Clinton. Ces gaffes ne sont pas intervenues.

Elle sait qu’une semaine dans la politique américaine c’est une éternité. Même en mobilisant tout l’appareil démocrate, la lutte devenait trop difficile.

Au départ, elle devait aussi compter avec l’aide de … Bill Clinton. Depuis plusieurs mois, il a beaucoup travaillé pour modifier son image de marque. Il a même engagé une véritable entreprise de reconquête de sa popularité. Ainsi, mardi 31 mars 2006, Bill Clinton a annoncé la tenue d’une importante réunion en septembre 2006 à New York sur le thème du développement global. A cette réunion sont annoncées dés à présent les participations de Bill Gates, Laura Bush, Jacques Chirac, Rupert Murdoch, Richard Branson, Warren Buffet…
Par cette initiative, Bill Clinton aide des projets durables de développement. Sur 2005 par exemple, il a conduit avec Citigroup des actions de micro-crédits à hauteur de 5, 5 millions de dollars dans 25 pays en voie de développement. Des projets qui ont permis d’influer sur la situation de plus de 2 millions de personnes.

Par de tels projets, Bill Clinton défend la thèse du développement global et durable dans le monde. Le Maire Républicain de New York s’est officiellement félicité que la Ville de New York ait été choisie comme lieu du colloque 2006 qui se déroulera du 20 au 22 septembre 2006. Cette action est l’un des volets de la « reconquête » de l’opinion américaine conduite par l’ancien Président des USA.

Cette reconquête est passée en réalité par trois étapes. Tout d’abord, lors du 1er mandat de Bush, Bill Clinton a observé une éthique exemplaire de sa fonction d’ex-Président. Ensuite, il a conduit des actions qui ont progressivement fait de lui la référence d’une « autre Amérique », celle de la coopération internationale, des grandes causes humanitaires. Il s’est ainsi installé en réel contrepouvoir d ‘opinion au moment même où GW Bush incarnait une Amérique isolée, impérialiste, impopulaire internationalement. Enfin, avec l’impopularité croissante du ticket républicain, une « réécriture » du second mandat de Clinton est progressivement intervenue relativisant des données « intimes » et rehaussant le bilan public de ses deux mandats.

Mais surtout, pendant toute cette période, son réseau au sein du Parti Démocrate est demeuré très influent. Ses anciens collaborateurs, dont Harold Ickes, ont pris des initiatives publiques importantes dans la collecte de fonds pour les prochaines échéances. La technique de communication a été très habile. Par ses actions présentes, il a redonné une lisibilité aux actions conduites pendant ses deux mandats. Il est l’invité d’honneur des Universités les plus prestigieuses. Ses discours à Yale puis à Georgetown à l’automne 2001 ont constitué des étapes fondatrices de ce nouveau volet par la qualité de ses prestations. Il a conduit une lutte intense contre le SIDA et de façon plus générale pour tout ce qui touche au renforcement de la couverture santé des plus défavorisés. De façon plus générale, il a endossé tous les thèmes qui sont des enjeux de générations dont la défense de l’environnement. Sur le plan international, il ne parle que de « paix » là où son successeur est de plus en plus perçu comme belliciste.

C’est la 1ère fois qu’un ancien Président des USA atteint par la limite du cumul des mandats procède ainsi. L’actualité n’est plus alors de savoir si Bill Clinton a une utilité dans le débat public américain mais à quelle nouvelle fonction il peut retrouver l’expression et l’action utiles que chacun lui reconnaît sans contestation.

Un bel exemple de reconversion bien loin d’une retraite dorée à ne parler que du passé...

Cette reconversion va avoir un terrible effet boomerang. Persuadé d’être ainsi revenu en grâce, Bill Clinton ne restera pas dans la coulisse mais sera au premier rang de la campagne de son épouse. En donnant du crédit à l’idée ancienne du « ticket Clinton », il va involontairement beaucoup nuire aux intérêts de son épouse. Ce d’autant plus que dès que la campagne devient difficile, Bill Clinton monte au créneau avec des arguments très polémiques qui vont nuire à la candidate placée dans l’impossibilité de désavouer publiquement son époux.

Tous ces facteurs sont quasi-identiques en 2016.

Il est peu probable que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets.

  • Publié le 14 avril 2015

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