François Hollande et le changement d'opinion

Jean Daniel Lévy, Directeur du département Politique et Opinion d'Harris Interactive, dresse une synthèse très détaillée des actuels rapports entre François Hollande et l'opinion dans les termes suivants :

"Harris Interactive interroge tous les mois un échantillon représentatif de Français afin de connaître leurs jugements à l'égard de l'exécutif. Cette enquête permet de suivre dans le temps l'opinion des citoyens à l'égard du Président de la République, du Premier ministre ainsi que des « principaux » membres du gouvernement. Dans le cadre de cette étude, dont la dernière vague a été publiée par le site internet Délits d'Opinion, Harris Interactive demande aux Français de s'exprimer spontanément lorsqu'ils évoquent les deux dirigeants de l'exécutif. Il s'agit ici de revenir quantitativement et qualitativement sur les évolutions notables que nous pouvons relever au cours de ces douze derniers mois.

François Hollande, qui n'a pas bénéficié au départ d'une forte confiance de la part des citoyens (54%), a - hormis dans le contexte du début de l'intervention du Mali - dû faire face à une baisse continue du crédit accordé par les Français.

Si la prise de décision amenant une intervention militaire au Mali a un impact positif sur la confiance exprimée à l'égard du couple exécutif, c'est essentiellement au regard de la posture : en France, sans être belliqueux, on considère que notre pays a un rôle à jouer au niveau international. Et la capacité à pouvoir porter la paix par delà nos frontières ouvre favorablement sur l'évolution de la confiance accordée au Président. Les Français y sont d'autant plus sensibles que, jusqu'à cet épisode (tout comme après celui-ci), ils rechignaient à pouvoir affubler François Hollande du terme « autoritaire » et, à tout le moins, « capable de prendre des décisions ». Il s'agit bien là d'une des difficultés d'opinion rencontrée par le Président de la République : montrer qu'il dispose de suffisamment d'autorité sur son gouvernement et, par la même, sur les Français. Il apparaît important, notamment à ses électeurs, qu'il parvienne à montrer qu'il dispose d'une ligne de conduite et d'action lisible et appropriable.

Rappelons, d'ailleurs, que si ses difficultés d'opinion apparaissent aujourd'hui aussi nettes, c'est déjà parce que, dès le départ, François Hollande n'a jamais reçu l'expression de la confiance du « peuple de Droite » . Nicolas Sarkozy était parvenu, en 2007, au moins momentanément, à desserrer l'étau de la pression de « l'opposition ». A la suite de l'ouverture, et notamment avec l'arrivée de Bernard Kouchner au gouvernement (celui-ci ayant toujours bénéficié d'un fort courant de sympathie de la part des Français et notamment des sympathisants de Gauche. Son parcours humanitaire, sa capacité à pouvoir lever la voix en dehors des contraintes partidaires l'on longtemps amené à être apprécié par les Français. Et quand bien même il n'aura jamais vraiment réussi à transformer cette popularité en capital électoral, son arrivée dans un gouvernement de Droite a, momentanément, participé de la baisse de l'inquiétude perçue par les Français à l'égard de Nicolas Sarkozy aussi bien en tant qu'homme qu'en tant que responsable politique de Droite).
En mai 2012, seuls 4% des électeurs de l'ancien Président (6% des sympathisants de Droite) affirment faire confiance au nouveau locataire de l'Elysée. La prééminence de Nicolas Sarkozy dans l'opinion résulte d'ailleurs de sa capacité à pouvoir, au cours de la dernière élection présidentielle transformer ce qui apparaissait au premier abord comme un référendum pour ou contre l'ancien Président en une consultation appelant les électeurs à se positionner sur un axe Gauche/Droite. A ce titre, en fin de campagne, le rapprochement des courbes d'intentions de vote résulte de cette thématique : « pour ou contre le retour du socialisme à la tête de l'Etat ? », « quel niveau d'imposition dans notre société ? »

Cette absence de soutien de la part du « camp d'en face » pourrait passer par « pertes et profits » si celui-ci apparaissait net auprès de « bases politiques de proximité ». On remarque que, même si elle est moins prononcée et qu'elle se situe à un niveau moindre que celle relative aux sympathisants UMP, la baisse de confiance est manifeste aussi bien parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (à 47%, - 40 points en un an), que de ceux de François Bayrou (à 30%, - 29 points). Elle pourrait, enfin, être minimisée dans le jugement si jamais le noyau électoral affichait un soutien sans faille. Ce n'est plus le cas, même si le niveau de confiance reste élevé. Si le coeur de l'électorat ou des sympathisants du Président tend à moins exprimer de confiance : 75% de ses électeurs de premier tour, 83% des sympathisants socialistes contre la quasi-totalité il y a un an. On ne peut pas, encore ?, parler de décrochage. Mais d'alerte pour François Hollande.

Parallèlement, « l'apport différentiel » que pouvait véhiculer Jean-Marc Ayrault après sa nomination, et à l'égard duquel les Français exprimaient plus de confiance à son égard qu'à celui du Président jusqu'à l'automne, tend à s'étioler (le Premier ministre recueillait la confiance de 68% des électeurs de François Bayrou, 24% aujourd'hui, de 19% de ceux de Nicolas Sarkozy, 1% actuellement).

Lorsque l'on invite les Français à répondre spontanément, et que l'on les laisse indiquer « avec leurs mots » ce pourquoi ils affirment accorder ou ne pas accorder leur confiance à l'égard des deux responsables de l'exécutif, on peut constater que les structures de cette confiance ont évolué en un an : à l'appréciation positive marquée par la polysémie du terme changement se substitue l'espérance - toute Mitterrandienne - de laisser au Président du temps . Ce n'est donc pas tant la politique menée qui participe de la confiance accordée par un tiers des Français, mais la promesse d'une concrétisation d'une action entamée. Cet aspect entre en résonnance avec d'autres études : si les Français - même à Droite - peuvent apprécier des décisions politiques dont le sondeur leur rappellera l'existence dans le cadre d'une enquête, peu de nos concitoyens parviennent spontanément à évoquer ce qui a marqué, positivement, les douze premiers mois de mandature de François Hollande. Les éléments positivement les plus marquants ne sont pas restitués.

Dans un même temps, les Français ne lui accordant originellement pas leur confiance mettaient en avant son inexpérience. Ces critiques cèdent, aujourd'hui, la place à une interrogation relative aux promesses (non tenues à leurs yeux) ainsi qu'à des thématiques structurelles : impôts, politique économique et une conjoncturelle : le mariage pour tous.

François Hollande, un an après son élection, inscrit son action dans un contexte d'opinion oscillant entre scepticisme et critiques.

Peu de mesures emblématiques parviennent à redonner au peuple de Gauche une fierté d'avoir porté à l'Elysée un Président de son camp politique. D'ailleurs, aussi bien lors des quatre dernières élections législatives partielles que dans le cadre des mobilisations en faveur du « Mariage pour tous » l'on voit bien les faibles traces de soutien à l'égard de l'exécutif.

La Droite est fortement mobilisée contre le Président qui apparait à ses yeux comme la double incarnation repoussoir du socialisme et du chef indécis.

Le Front National ne constitue plus un repoussoir et Marine Le Pen voit ses traits d'image (et surtout la perception de sa compétence politique) progresser auprès des Français. Elle dispose d'une double vertu aux yeux des Français écoutant ses propos avec attention : elle nomme les choses, le réel ; elle dépasse, dans ses prises de parole, le strict cadre du tandem immigration/insécurité et aborde les thèmes comme le « social » et la promesse de la République.

Cette pression de l'opinion est d'autant plus manifeste que le contrat apparaissait clair. Aussi bien dans le cadre de la campagne présidentielle qu'au cours de la primaire citoyenne les Français avaient bien entendu le positionnement de l'alors candidat : la réduction des déficits. Et, au soir de l'élection, n'anticipaient une nette amélioration de leur vie (seuls 23% des Français considéraient positivement cette hypothèse et à peine plus d'un électeur sur deux du Président de la République). C'est probablement un « nouvel esprit de campagne » qu'attendent une partie des Français. C'est indéniablement la capacité à pouvoir voir teintée de justice et d'égalité la politique menée. Ce que nos concitoyens ne parviennent pas, actuellement, à faire."


Méthodologie : Les données présentées dans ce document sont issues de deux enquêtes :

- Enquête réalisée en ligne du 16 mai au soir après l'annonce de la composition du gouvernement au 18 mai 2012. Echantillon de 1050 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l'access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l'interviewé(e).

- Enquête réalisée en ligne du 19 au 22 avril 2013. Echantillon de 1606 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l'access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l'interviewé(e).

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  • Publié le 6 mai 2013

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