Denis Bonzy : "la crise du politique c'est la victoire durable du storytelling"
Le bon storytelling, c'est raconter une histoire. Le mauvais storytelling c'est "raconter des histoires" au sens populaire du terme donc tromper.
La victoire du storytelling est durable parce qu'elle est liée à la crise du politique.
En 1986, Sydney Lumet sortait un film "Power" ou en France "les coulisses du pouvoir". Les thèmes : l'argent est roi et les campagnes négatives sont reines.
Ce film a-t-il changé la donne ? Non. L'argent est devenu de plus en plus roi et les campagnes négatives ont été de plus en plus reines.
Il en sera de même pour le film de George Clooney sur le storytelling. Le film "our brand is crisis" ne changera pas la donne. Le storytelling est installé de façon incontournable. Ses plus beaux jours sont à venir.
Prenons des exemples précis.
« J’aurais souhaité que mes parents puissent partager ce moment : ils s’en sont allés vers le repos éternel ces dernières années mais leur exemple, leur inspiration, le cadeau de leurs yeux ouverts, de leur esprit sur le monde sont plus grands et plus durables que tous les mots….
Ma mère était la pierre angulaire de notre famille comme tant de mères le sont.
Elle restait éveillée tard le soir pour m’aider à faire mes devoirs.
Elle s’est assise sur mon lit lorsque j’étais malade. Elle a répondu à mes questions d’un enfant qui, comme tous les enfants, a trouvé le monde plein de merveilles et de mystères... »
Cette introduction de discours est celle de John Kerry lorsqu’il est à la tribune de la convention démocrate l'été 2004 quand il va accepter l’investiture de son parti pour la présidentielle américaine.
Cette tonalité personnelle et émotionnelle est aujourd'hui la règle. Pourquoi ? Il ne s'agit plus de promettre mais d'être.
La promesse n'est plus engageante. Le futur n'est pas "prévisible". Il n'est plus programmable pour l'opinion. Par conséquent, il ne faut plus s’en remettre à un discours mais à un tempérament.
Pour découvrir ce tempérament, il faut s'exposer, s'expliquer : c'est le socle du storytelling.
La vie du candidat pour mieux aider à comprendre l’individu donc ce qu’il est, ce qu’il aime ; bref son tempérament.
Sur ce parcours, l'opinion croit à de nouvelles morales qui ne sont plus les mots : la morale de la vie et celle du corps.
L'opinion ne croit plus à la morale des règles. Elle aspire à s’en remettre non plus à une morale de l’écrit ou du discours mais à une morale de la vie.
Dans ce contexte, la parole est vite vaine tandis que l’expérience est reine. Pour exposer cette expérience, il faut parler de soi, de sa vie, de ses échecs, des enseignements tirés dans les épreuves comme dans les succès. C’est une autre logique. Il ne s’agit plus de donner des leçons mais d’expliquer comment sa propre vie a permis de tirer des leçons.
La seconde morale est celle du corps parce que le corps est la première expression de l’être, cette enveloppe visuelle va occuper une place particulière. C'est le nouvel âge du style. Pendant longtemps le style a été à tort considéré comme une forme détachable du fond. C’est faux. Le style, c’est :
- ce qui est identifiable au premier regard,
- ce qui est excitant, différent, authentique.
- ce n’est surtout pas fade, commun, ennuyeux, triste.
Ces deux morales nouvelles ont un vecteur : le storytelling.
La crise du politique a ouvert une autoroute au storytelling puisque les critères principaux du choix sont ailleurs que dans les doctrines.
Le danger du storytelling n'est donc pas dans une concurrence dans le "marché" des autres moyens de conviction. Il est dans la multiplicité des supports de communication et la nécessité de garder une cohérence. C'est dans cette cohérence que la vérité va retrouver sa place et faire la différence entre raconter une histoire (le bon storytelling) et raconter des histoires (le mauvais storytelling rapidement suicidaire).
Denis Bonzy
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