Etats-Unis : campagnes électorales : les Républicains ont-ils repris une avance technologique ?
Après la victoire surprise de Donald Trump, celle mardi de Karen Hangel traduit-elle d'abord une nouvelle avancée technologique prise par les Républicains tout particulièrement dans le traitement des informations disponibles sur tous les réseaux sociaux permettant un ciblage d'une finesse totalement inédite ?
Mai 1997 : l’Europe découvre un jeune premier ministre britannique qui vient de mettre un terme à un record historique de Gouvernement conservateur. Il est toujours souriant, apparaît frais et innocent. Sa victoire ne doit pour autant rien au hasard ou aux bonnes fées. Il l’a conquise à la force du poignet en prenant le meilleur des avancées dans les techniques modernes de communication. Sa victoire est d’abord celle d’un remarquable professionnel préparé comme « pour un débarquement » selon la formule en vogue à Londres à cette époque.
A l’approche des élections, son parti « New Labour » a installé Excalibur. C’est un super-ordinateur qui en 30 minutes met en évidence les contradictions des concurrents, les votes emblématiques, les déclarations enflammées… Derrière ce nom barbare figure surtout une méthode qui a intégré toutes les avancées en matière de communication moderne. Voilà quelques unes des mesures adoptées à cette époque.
Tout d’abord, grâce à la qualité de la démocratie britannique, un shadow cabinet a été constitué de longue date. Les secrétaires généraux des principales administrations ont été autorisés à venir exposer les principaux dossiers et répondre aux questions. Sur cette base intégrant des contraintes légitimes de gouvernement, le programme a été construit en faisant appel aux productions de think tanks. Ces clubs de réflexion privés ont planché sur des sujets politiques très pointus.
Le service communication a alors bâti le programme du leader travailliste en « nourrissant la presse » en permanence. Cette « méthode Deaver » consiste à planifier l’information pour ne jamais se retrouver en position défensive face aux médias. Une matière choisie lui est ainsi donnée comme sujet quotidien de traitement. C’est l’inversion du système. Deuxième point majeur, dans cette matière, tout repose sur l’image. L’image prime toujours. Quand il y a choc entre l’œil et l’oreille, les études montrent que l’œil l’emporte systématiquement. Le spectateur retient ce qu’il a vu infiniment plus que ce qu’il a entendu. Tout le professionnalisme consiste à ce que l’image porte le bon message au bon moment pour les bonnes cibles.
Chaque relais de la campagne dont les candidats aux législatives est équipé d’un pager et d’un fax. Chaque demi-journée, chacun d’entre eux reçoit les messages du jour à délivrer à la presse, aux opposants…
Sur le plan général, des sondages quasi-quotidiens garantissent la vérification en temps réel de l’opportunité des actions conduites. La fonction de ce dispositif est de « simuler » les conséquences électorales de chaque annonce, chaque image, chaque message à partir d’un scénario bâti par étape.
La fiabilité de cette simulation repose sur la démarche suivante :
- intégrer informatiquement tous les éléments qui composent l’environnement d’une décision des électeurs,
- identifier les conséquences cohérentes classiques d’une annonce par corps électoral,
- construire les évènements qui font le lien positif entre les deux premières données Ce modèle a été poussée à son extrême performance par R. Wirthlin, proche conseiller de Ronald Reagan. Les membres de l’équipe de Richard Wirthlin ont indiqué ultérieurement que les enseignements étaient donnés en moyenne en 47 secondes après avoir questionné l’ordinateur. Leur méthode avait consisté à rassembler les informations disponibles sur les comportements électoraux de 480 catégories d’électeurs distinguées selon leur lieu de résidence, leur sexe, leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leur religion, leur pouvoir d’achat…
Les conservateurs britanniques, proches des Républicains américains, avaient installé un appareil performant ( un 80 000 ICL ME29 ) auquel les travaillistes ont attribué beaucoup de victoires de M. Thatcher. En 1997, ils ont relevé le défi. La « méthode Wirthlin » ne consiste pas à déterminer des intentions de votes mais des critères de comportements électoraux. Cette différence permet d’explorer les stratégies et de déterminer les choix les plus efficaces. Les résultats permettent d’affiner la décision, de tester des comportements, de vérifier sans cesse les conséquences de telle ou telle attitude. En 1984, DMI, agence de R. Wirthlin, avait emmagasiné un nombre considérable de données résultats de 150 000 interviews d’américains répartis en 110 catégories et sous catégories d’électeurs.
Cette méthode est celle qui a conduit à la victoire en mai 1997. Au pouvoir Tony Blair a appliqué les méthodes de « campagne permanente ».
Il faudra quelques mois encore probablement pour lever le voile des opérations de Palantir ou de Cambridge Analytica. Mais très probablement, les Républicains viennent de reprendre une avancée technologique qui explique pour une grande partie certains succès aussi inattendus.