De Steve Schmidt à Brad Parscale : la vraie révolution du micro-ciblage
« Aujourd’hui est un nouveau jour pour la Californie. Je ne me suis pas présenté à cette élection pour faire les choses de la même manière qu’elles ont toujours été faites. Mon principal souci est de rétablir votre confiance dans le Gouvernement californien. Cette élection ne s’est pas tenue pour remplacer un homme. Elle ne s’est pas tenue non plus pour remplacer le parti majoritaire en place. Elle a eu lieu pour changer l’intégralité du paysage politique de notre Etat ».
Ce 17 novembre 2003, à Sacramento, aux côtés de son épouse Maria Schriver qui vient de tenir la bible sur laquelle le nouveau Gouverneur vient de prêter serment, Arnold Schwarzenegger débute son discours en ces termes.
Moins de trois ans plus tard, il doit retourner devant les électeurs. Où en est-il alors des promesses initiales ?
A cette étape, en réalité le mandat du Gouverneur a connu trois étapes très distinctes.
La première, celle des premiers mois d’installation, est très prometteuse. Elle s’accompagne d’une forte popularité. Des actes spectaculaires sont mis en scène avec efficacité :
- refonte du système de couverture des accidents du travail,
- réduction drastique de cotisations portant sur les automobiles,
- coupes radicales dans les dépenses de l’Etat.
Parmi les dépenses radicalement modifiées figure le salaire du propre Gouverneur.
C’est l’époque où la popularité du Gouverneur semble lui ouvrir les plus hautes perspectives. Une réforme constitutionnelle est même évoquée pour lui permettre une candidature à la présidence…
Tout tourne lors du second semestre 2004. Pendant la présidentielle, il s’est engagé ostentatoirement en faveur de GW Bush. Des scandales privés entachent son image. Il prend une position très rigide contre la loi de légalisation du mariage homosexuel. Des propositions initiées par lui sont rejetées.
Sa côté de popularité est tombée à 35 %
Les sondages qui arrivent tout au long du 1er trimestre 2006 sont très serrés. Une défaite en novembre 2006 parait possible. Même probable.
S’ouvre alors une nouvelle étape, la troisième. Sur les modalités de surveillance de la frontière avec le Mexique, il se démarque du Président Bush. Il livre même un réel bras de fer public s’opposant à lui, à certains de ses choix politiques, refusant de s’engager dans la voie ouverte par le Président Bush.
Mais surtout en juillet et août 2006, Arnold Schwarzenegger découvre une nouvelle ambition collective : la défense de la planète. Le 13 juillet 2006, il fixe des objectifs très ambitieux à destination des biocarburants.
Un pas supplémentaire hautement symbolique intervient le 30 août 2006, il fixe une nouvelle politique en conformité avec le protocole de Kyoto. Il s’agit de réduire d’un quart les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Dans la foulée, il multiplie tous les actes pour montrer qu’il s’agit là de son nouveau combat : lutter contre le réchauffement de la planète. Etudes, sanctions, innovations …: tout est bon pour montrer la détermination du Gouverneur.
L’indépendance manifestée à l’égard de GW Bush et ce combat écologiste font immédiatement changer son image de marque et sa cote de popularité remonte significativement.
A quelques semaines du vote de début novembre 2006, Arnold Schwarzenegger a retrouvé le cœur des Californiens et repris la tête des sondages.
Et il va gagner avec une remontée spectaculaire.
Il importe d’avoir quelques chiffres en tête :
novembre 2005 : le Gouverneur était donné battu de 6 points par son concurrent démocrate,
Février 2006 : il passe à égalité avec son concurrent démocrate,
Avril 2006 : le Gouverneur sortant passe en tête : + 4 points,
Mai 2006 : avance portée à + 7 points,
Juillet 2006 : avance portée à + 8 points,
Septembre 2006 : l’avance passe à 10 points.
Il ira même jusqu'à compter 16 points d'avance et il gagne largement..
Que cache ce retournement ?
Certes, des modifications majeures quant au fond de la politique mise en œuvre :
- mesures contre la crise énergétique,
- mesures contre la crise climatique,
- financement de la recherche sur les cellules-souches,
- démarquage total et ostentatoires par rapport à la politique mise en œuvre par le Président Bush.
Mais il faut compter surtout avec la probable plus grosses base de données jamais mise en œuvre pour une élection locale.
Cette base de données à deux originalités :
- la quantité de données serait sans précédent dans l’histoire politique des Etats-Unis,
- mais surtout, c’est une base de données commerciales donnant lieu à des traductions politiques.
A partir des habitudes d’achats, l’équipe du Gouverneur Schwarzenegger a établi une grille de lecture politique dirigée par Steve Schmidt.
Par exemple, un conducteur de camionnette possédant un permis de chasse et abonné à un magazine « chasse-pêche » est un conservateur potentiel alors que celui qui est un abonné du « New Yorker » faisant ses courses dans un magasin de produits naturels est supposé voter démocrate.
Cette logique est la première opération croisant deux données :
- une base brute de données privées à caractère commercial,
- le profilage politique en raison des caractéristiques de consommation.
Cette approche est le fruit d’un long travail conduit par une équipe importante sous la direction de Steve Schmidt, directeur de campagne et Josh Ginsberg, directeur politique.
Aux Etats-Unis, l’acquisition de ces données est parfaitement légale. Ces données sont d’autant plus nombreuses que presque chaque segment de marché fiche ses clients : commerces de détail, compagnies aériennes, sociétés de crédit, magazines…
C’est la première fois qu’un maillage aussi étroit intervient pour une campagne politique. Mais c’est aussi la première fois qu’une telle action individualisée peut intervenir. Chaque message s’adresse à la bonne cible pour lui parler de ses priorités quotidiennes.
Avec de tels moyens, un micro-ciblage sans précédent peut être opéré. En 12 mois, le micro-ciblage a totalement retourné les tendances.
Un impact encore plus important dans un pays marqué par l'abstention. Cette méthode est le parti pris de l'équipe de Donald Trump en 2020 avec un spécialiste : Brad Parscale. Une nouvelle ère dans le marketing public est en train d'être consacrée. Un tournant.