Premier Ministre : une fonction en péril ?
La désignation du Premier Ministre devient très emblématique en début de mandat. C’est ce choix qui va passer un premier message à l’opinion. Certes, la composition du nouveau Gouvernement sera forte de nombreuses significations à l’examen des sorties comme des entrées. Mais le premier message va résider dans le choix du titulaire de la fonction de Premier Ministre.
La Vème République a installé un partage complexe des pouvoirs qui suppose l’acceptation d’une rupture de l’égalité dans l’entente comme condition incontournable du fonctionnement efficace de la dualité de l’exécutif Français. Ce qui est propre à la Constitution de 1958, c’est que, selon les évènements, c’est le Chef de l’Etat ou le Chef du Gouvernement qui est mis en avant. Cette souplesse est l’une des forces de la Constitution de 1958.
Il importe d’abord de constater que cette dualité de l’exécutif existe dans de nombreux pays.
Dans le cadre des régimes parlementaires coexistent le Chef du Gouvernement qui détient les prérogatives les plus importantes et le Chef de l’Etat qui a un rôle de représentant de la nation vis à vis de l’intérieur et de l’extérieur.
Par conséquent, ce n’est pas le propre de la Constitution française que de porter en elle une structure susceptible d’engendrer un blocage entre deux autorités d’un même pouvoir.
L’originalité de la Constitution de la Vème République naît de la répartition complexe et très imbriquée des prérogatives confiées au Président de la République et au Premier Ministre.
Si dans les autres régimes la règle est une séparation relativement franche des fonctions, en France, plus particulièrement sous l’empire de la Constitution de 1958, il en est différemment.
Un rapide examen de l’histoire constitutionnelle française montre que la dualité des fonctions au sein du pouvoir exécutif est une tradition de notre droit public, encore qu’il s’agisse souvent d’une situation de fait. Situation qui présente, il est vrai, de considérables avantages.
Un tel système est un élément de stabilité dans les institutions en conciliant la continuité, par l’intermédiaire d’un Chef de l’Etat qui apparaît comme le recours suprême, le garant des valeurs permanentes, le gardien de l’unité et le changement qui peut être obtenu par le renouvellement du chef du Gouvernement pour s’adapter aux nécessités changeantes de la vie politique.
Si ces deux missions ont été souvent rigoureusement séparées dans les textes, il fut, en réalité et en règle générale, fort difficile de conserver ce clivage strict.
L’application de la Constitution de 1958 n’y échappe pas.
En effet, si le dualisme de l’exécutif sous la Constitution de 1958 se caractérise par la prééminence organique et fonctionnelle du Président de la République, les nécessités de l’unité d’action conduisent à une collaboration étroite du Président de la République et du Premier Ministre.
La réforme de 1962 avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct a conduit à un nouvel équilibre au sein du pouvoir exécutif.
Sans doute l’importance de la fonction de Chef de l’Etat apparaissait-elle déjà dans «l’architecture» de la Constitution de 1958 dans la mesure où le Titre II, qui est consacré au Président de la République, est situé immédiatement après le titre intitulé «de la souveraineté» et avant les titres relatifs aux autres organes de l’Etat.
Depuis 1962, nous sommes passés de l’autorité personnelle du Général De Gaulle à l’autorité fonctionnelle qui s’attache à celui qui est l’élu de la nation toute entière.
La présidentialisation du régime a ensuite été liée aussi à la connaissance que les Présidents Pompidou et Giscard d’Estaing avaient des dossiers lorsqu’ils ont été élus, ce qui a pu les conduire à intervenir dans un grand nombre d’affaires.
Cette présidentialisation est alors apparue notamment par le rôle de Président du Conseil des Ministres reconnu au Président de la République. Puis, ce rôle d’orientation s’est manifesté par les «lettres directives» au moyen desquelles le Chef de l’Etat définit les orientations laissant au Gouvernement le seul soin d’étudier les solutions possibles, faire des choix et poursuivre la mise en œuvre.
C’est aussi celui qui assume les décisions du Gouvernement en expliquant à la nation les raisons de telle ou telle décision par la voie de conférences de presse, «d’entretiens télévisés».
A cette époque, orientant l’action gouvernementale, le Chef de l’Etat ne peut plus demeurer à l’écart des résultats de celle-ci.
Cette affirmation des pouvoirs du Chef de l’Etat ne signifie pas pour autant que le Chef du Gouvernement n’est plus qu’un «chef d’Etat major» ou un «administrateur en chef».
En effet, les nécessités de l’unité d’action mettent en relief le fait que le Premier Ministre est le point de passage obligé de la quasi-totalité des affaires.
La politique n’est pas seulement l’art de prendre la parole. C’est aussi et surtout l’art de passer une politique dans les faits.
Les strates administratives constituent un terrible rempart. Les manifestations ont du poids mais le travail des bureaux n’est pas dépourvu d’influence, loin s’en faut.
A l’égard des administrations, l’Hôtel Matignon est au centre d’un réseau où convergent les informations, les questions, les demandes d’instructions ; c’est donc un rouage essentiel de la vie politique et le lieu où sont toujours examinés et très souvent tranchés les problèmes que pose le gouvernement du pays.
Tant les services politiques du Premier Ministre que ses services techniques lui assurent un regard, si ce n’est une maîtrise, sur l’ensemble des procédures face à des «structures de la Présidence de la République qui demeurent légères».
A cet égard, le rôle du Secrétariat Général du Gouvernement, placé sous l’autorité du Premier Ministre, est fondamental.
Ainsi le Premier Ministre, malgré le bicéphalisme administratif apparu sous la Constitution de 1958, dispose-t-il de services de nature à lui assurer véritablement une autorité certaine en matière d’action administrative à condition, bien entendu, qu’il entende se servir des instruments qu’il détient.
L’avenir de la fonction de Premier Ministre passe-t-il désormais par la séparation des compétences avec l’Elysée et non plus par le partage concret des domaines et moyens d’actions ?
Mais la démocratie permanente d’opinion qu’est devenue la vie politique française n’impose-t-elle pas de nouvelles règles ?
La durée du mandat présidentiel à 5 ans n’a-t-elle pas présidentialisé le régime bien au-delà du seul tempérament des derniers titulaires ?
Dans l'actuel climat de désarroi, on voit mal comment une réforme institutionnelle en profondeur pourrait être éviter. La fonction de Premier Ministre deviendrait-elle en péril ?