Katrina et le libéralisme (Edito 07)
La liberté est à l'ordre du jour dans la quasi-totalité des pays. De l'Amérique du Sud au Japon, les entreprises publiques sont privatisées. Les Etats se désengagent au profit des initiatives privées.
Un grand vent libéral souffle sur les pays industrialisés. Il résulte, semble-t-il, d'une prise de conscience : le marché apparaît comme le moins mauvais moyen de gérer la société.
Le libéralisme a trouvé une légitimité nouvelle. Dans des économies en proie à la compétition internationale, le libéralisme est même perçu comme incontournable. Dans les économies où le chômage atteint des seuils très critiques, le libéralisme serait le point de passage pour une nouvelle vitalité économique créatrice d'emplois. Dans des économies où la bataille technologique fait rage, le libéralisme apparaît comme le levier d'éclosion de talents et d'initiatives.
Progressivement, à l'exemple de bien d'autres Nations, les Français semblent avoir compris, eux aussi, les enjeux et l'utilité d'une conversion au libéralisme. La méfiance collective française traditionnelle serait ainsi vaincue par "jet d'éponge" de l'inadaptation flagrante d'une économie dirigiste et administrée.
Ce libéralisme reposerait sur trois piliers indissociables :
- la réduction des dépenses publiques,
- la libération des entreprises,
- la mise en place d'une société basée sur le développement personnel.
Modernité et libéralisme seraient ainsi devenus indissociables.
Dans ce paysage quasi-idyllique pour le libéralisme intervient l'ouragan Katrina qui risque de ne pas seulement emporter la Nouvelle Orléans.
Katrina : l'échec d'un modèle de développement
En 15 jours et avec un souci de vérité et d'investigation très éloigné de la modération qui avait accompagné les conséquences dramatiques de la canicule lors de l'été 2003 en France, les médias dissèquent chirurgicalement les révélations liées à Katrina.
Il ne peut y avoir de tableau plus sombre. C'est l'échec sur tous les fronts.
La prévision a été défaillante. Les systèmes techniques les plus élaborés n'ont pas été capables d'identifier et communiquer la réalité des risques.
Dans le "feu de l'action", les pouvoirs ont été dépassés donnant le sentiment du "sauve qui peut".
Dans les journées qui ont suivi, des erreurs majeures d'organisation comme de communication ont été commises donnant le sentiment au mieux d'une absence de professionnalisme, au pire d'une indifférence inqualifiable.
La puissance américaine est apparue plus fragile que jamais et ce sur son propre territoire. Le libéralisme incarné par cet Etat est revenu à son "image de marque" d'origine : une jungle qui tue le plus faible.
Les conséquences planétaires de Katrina seront considérables. C'est peut-être une vraie crise de régime de pouvoir. Le libéralisme va-t-il retourner au banc des accusés dans des pays qui ne sont pas culturellement prêts à accepter ou subir de telles inégalités de traitements ?
Après l'Europe, n'y a-t-il pas naissance d'un second "repoussoir" ?
Le goût du confort des Français, leur attachement à un système protecteur sont-ils compatibles avec cette vision du libéralisme ?
Ce "message" de Katrina va laisser des traces profondes. La France n'est pas encore un pays où la perspective d'optimisation individuelle est admise au prix d'une telle précarité collective.
Pour les tenants de solutions libérales, leurs solutions doivent vite être révisées ou reformulées car le mot "libéralisme" va faire renaître des peurs séculaires.
C'est une nouvelle donne majeure pour les prochaines échéances électorales françaises. Ceux qui n'y prendront garde risquent fort de découvrir des revers proches des "surprises" du référendum du 29 mai 2005.
L'ambiance électorale n'est plus à l'adhésion mais au rejet. Le candidat élu est celui qui aura suscité le moins de facteurs de rejet. Dans une société anxiogène comme la nôtre, le libéralisme peut "refaire peur".
La 1ère victime électorale de Katrina et de ce nouveau "climat" est peut-être déjà Angela Merkel lors du scrutin allemand du 18 septembre 2005 (voir le carnet page 11) ?
Une nouvelle donne est née dans le débat politique français.