Le rôle de la télévision (Edito 13)
A la télévision plus que dans tout autre support d'information, on a d'abord besoin de nouvelles. Ce rythme des nouvelles informations emporte autant ceux qui rapportent l'information que ceux qui la créent. Il faut toujours un certain recul pour tirer les conséquences durables des évènements dans lesquels le public comme les professionnels de l'information ont été plongés.
Définir une orientation durable et ne pas se contenter de réagir à l'évènement
C'est sur la base de ce constat que la plongée dans les évènements quotidiens pouvait emporter tout un chacun sans qu'il n'en ait conscience sur l'instant que la nouvelle règle est progressivement devenue celle de définir une orientation durable plutôt que de se contenter de réagir à l'évènement. En matière d'image, le maître mot est "cohérence". La vraie performance consiste à garder cette cohérence en dépit des évènements imprévisibles et non contrôlables. Cette priorité signifie que l'avenir n'appartient pas aux "plus apparents" mais "aux mieux identifiés". L'enjeu consiste donc non pas à apparaître souvent pour être connu mais à apparaître de façon cohérente pour que l'identité soit reconnue.
Par l'identité, c'est l'ensemble du pouvoir d'évocation d'un nom. Tout ce qui compose une personnalité. Tout ce qui a été signalé et retenu par l'opinion publique.
Un nouveau vocabulaire
La télévision a installé une nouvelle rhétorique. Classiquement, le discours politique était un raisonnement : une introduction, une démonstration détaillée et une conclusion. Ce cheminement n'était pas adapté au citoyen qui voit plus qu'il n'écoute voire même qu'il ne réfléchit. Les images et les formules chocs tiennent lieu de raisonnement. On n'explique plus. On donne l'image.
Par sa place prépondérante, la télévision a donné le rythme à tous les autres médias.
Résonner plutôt que raisonner
Dans cette logique, il s'agit de "faire du bruit" et non pas délivrer de la conviction rationnelle. Il faut résonner plutôt que raisonner. Après un journal télévisé, les personnes ont retenu un mot. Le dernier exemple en date est celui de "racaille". Pourquoi ce mot ? Est-il juste ? Que peut-il se passer après ce mot ? Toutes ces questions n'ont pas eu leur place. Les camps se sont structurés en fonction de pour ou contre ce mot. Puisque la communication devient une affaire de bruit autour d'un mot ou d ?une image, il est tout naturel qu'elle dégage une impression de vide dés l'instant que le bruit a disparu. Parce que cette sensation de bruit cède le pas tout logiquement à celle de vide dés que le silence reprend sa place.
La sélection impitoyable
Ce cheminement a gagné en notoriété. Dans la concurrence effrénée à l'évènement que se livrent les supports, une surenchère implacable se produit. Cette surenchère crée l'excitation qui est toujours l'élément de base faisant vendre les journaux et attirant les téléspectateurs. Désormais, chaque évènement ne peut vivre qu'à condition de faire figure de spectacle, de s'inscrire dans une course où les jeux ne sont pas faits d'avance et supposant des rebondissements serrés. Cette logique d'adrénaline est la trame de base d'une "bonne" information. Il faut créer un aspect sensationnel, puis entretenir l'excitation. Les nouveaux communicants performants ont intégré cette logique du "système". Ceux qui ne l'intègrent pas se placent dans une logique de traitement médiatique marginalisé.
Cette logique nouvelle est une sélection implacable qui exclut très vite du circuit des "succès médiatiques".
Ce comportement ne s'inscrit pas dans une logique de manipulation des médias. Les médias placés sous le contrôle permanent de l'audimat ont généré leur propre logique. Ce n'est ni de la manipulation ni de la conspiration, encore moins la création rationnelle d'un "4ème pouvoir" mais de l'interaction utilitaire entre deux parties qui trouvent intérêt à fonctionner ainsi.
Une nouvelle culture
Chaque candidat doit donc évaluer en permanence comment il intégrera ce nouveau rythme d'information. Comment il pourra s'y maintenir durablement et surtout quelles conséquences en résulteront pour son image quant au respect des conditions de participation durable à cette surenchère médiatique. C'est un nouveau profil de responsables publics qui va voir le jour. La télévision française est entrée dans le cycle de la médiatisation anglo-saxonne. Par l'importance de la télévision, c'est progressivement l'ensemble des médias qui partageront cette "nouvelle culture".
Les responsables publics qui entendent passer un message complexe, rationnel, nuancé, faisant appel à la réflexion et non pas aux émotions ont perdu d'avance. Le débat médiatique national semble s'organiser actuellement entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin.
En dehors d'eux, tous les autres concurrents significatifs ont du mal à exister.
La raison est simple. Ils sont tous entre deux images. François Bayrou est-il dans la majorité ou dans l'opposition ? Laurent Fabius est-il social démocrate comme avant ou "à gauche toute" comme depuis le printemps 2005 ? Dominique Strauss-Kahn est il derrière Hollande ou devant tout son camp ? Toutes ces personnalités sont décalées par rapport à ces nouvelles exigences de communication.
Seul Michel Rocard parvient à faire un vrai retour en scène en réoccupant sa place de briseur des rêves irréalistes. Il est ainsi reconnu parce que c'est son ancrage classique. Avec le lancement de ses dernières publications, il a su faire du "bruit cohérent" et se réintégrer intelligemment dans le circuit médiatique. Il lui suffirait de franchir le pas entre la réflexion et l'action possible au plus haut niveau pour être le troisième vrai communicant du moment.
Le corps électoral est désormais quotidiennement submergé par une avalanche d'images, de révélations. Il a de moins en moins d'attaches idéologiques. Tout va donc changer de plus en plus vite. Une nouvelle étape est ouverte faite d'adaptations majeures à de nouvelles règles.