La fin de la course au recentrage ? (Edito 14)
La revendication de sécurité va-t-elle mettre un terme à la traditionnelle course au recentrage dans la dernière ligne droite d'une élection présidentielle ?
Il parait possible de répondre positivement pour trois raisons.
Un nouveau profil présidentiel
Les problèmes perçus par les Français sont tellement graves et immédiats (délinquance, chômage, exclusions multiples?) qu'ils ouvrent l'âge de faire et bien davantage de faire vite. C'est donc un profil de caractère avec une forte dose d'énergie qui est actuellement attendu.
Le sentiment de menaces progresse fortement dans toutes les enquêtes comme dans toutes les catégories sondées. Ce sentiment change complètement la donne. Les prochains programmes présidentiels devront être marqués par la praticité. Ils doivent entrer rapidement dans les faits. Ils doivent être utiles pour rendre la vie plus simple et plus sûre. C'est à la valeur d'usage que les "citoyens consommateurs" vont apprécier l'impact des propositions.
Un nouveau régime présidentiel
Les institutions de 1958 ont installé un régime mixte. La réduction du mandat présidentiel à 5 ans a constitué dans les faits une évolution décisive dans l'émergence d'une présidentialisation incontestable. Le rapprochement des élections législatives du scrutin présidentiel a accentué cette évolution.
De 2002 à 2005, des facteurs purement conjoncturels ont atténué l'impact de ce changement structurel. Il en ira autrement en 2007. Le pays va entrer dans un régime présidentiel.
Toute sa vie politique sera axée sur la mise en oeuvre du contrat passé entre le Président et les Français lors du vote présidentiel, seul scrutin où la France constitue une réelle circonscription unique.
Cette confirmation à part entière va profondément modifier le paysage politique dans de nombreux domaines :
- la bipolarisation des forces politiques sera renforcée,
- un parti politique ne pourra exister durablement que s'il a capacité à porter en son sein un vrai présidentiable,
- la fonction de Premier Ministre est appelée à connaître des aménagements juridiques majeurs,
- la majorité parlementaire ne pourra que se positionner par rapport au contrat présidentiel.
Un climat spécifique pour 2007
Il s'est produit beaucoup de changements dans le style de vie des Français au cours des dernières années. Beaucoup plus de changements que ceux notés ou mis en évidence par les observateurs traditionnels. La crainte généralisée du chômage, le constat unanime des dysfonctionnements institutionnels, la perte de réactivité syndicale, une érosion certaine du niveau de vie?: toutes ces modifications constituent un nouvel état d'esprit qui ne peut pas ne pas avoir de conséquences politiques majeures.
Il serait prématuré de parler de "réorientation des appartenances politiques" à terme mais il est temps de parler d'un nouvel alignement de certains électorats.
Un nouvel alignement
Les émeutes urbaines vont accélérer ce processus. L'élection présidentielle 2007 fait beaucoup penser à l'élection américaine de 1980. C'est l'élection qui n'a respecté aucun des fondamentaux traditionnels. Pourquoi ?
La fin du mandat de Jimmy Carter avait été dominée par un tel sentiment de pagaille et d'échec que les électeurs voulaient tourner la page au plus vite.
Ce choc électoral fut tel que cette élection est devenue un sujet privilégié d'études universitaires. Qu'en ressort-il ?
1) les électeurs n'ont pas voté pour Reagan par souci de conservatisme. 11% d'entre eux ont voté pour Reagan parce qu'il était conservateur,
2) mais seulement 37 % des électeurs de Jimmy Carter en 1976 lui sont restés fidèles en 1980,
3) le climat particulier de 1980 a conduit des groupes électoraux dont les Noirs et les Hispanos à remettre fondamentalement en cause leurs soutiens classiques.
Bref, ce fut l'élection du désalignement.
Les traumatismes collectifs sont désormais tels en France et les repères institutionnels traditionnels frappés d'une telle paralysie, que ce schéma de désalignement nous parait désormais ouvert.
La prochaine élection présidentielle rassemble donc tous les éléments pour échapper aux répartitions habituelles des forces politiques. Aux Etats-Unis, par le bipartisme, un tel climat avantage mécaniquement le camp d'opposition.
En France, avec l'éclatement de l'offre politique, le jeu est plus compliqué. Les conditions de sortie de la crise des violences urbaines comme les conséquences pratiques qui en seront tirées par les principaux responsables politiques vont redistribuer les rôles. Le vrai lancement de l'élection présidentielle interviendra à ce moment là. Le reste deviendra du formalisme.