La société civile (Edito 17)
On ne naît pas responsable politique. On le devient. Rapidement, un mimétisme dégage ce qui est désormais perçu comme des "attributs" de la classe politique par opposition aux traits dominants de ceux qui n'appartiennent pas à cette "classe".
Ces attributs touchent à l'apparence comme au contenu même de l'expression. L'apparence paraît toujours guidée par une attitude hautaine qui maintiendrait les intéressés au-dessus du commun. Le costume cravate avec des couleurs sombres est ainsi devenu une sorte d'uniforme trans-partis. Quant à l'expression, elle est fortement matinée d'intellectualisme littéraire quelle que soit d'ailleurs la formation initiale des intéressés.
Le plus étonnant, ce n'est pas tant l'existence de tels traits dominants mais l'attractivité d'un code de conduite adopté de façon caricaturale par ceux que pourtant leurs parcours initiaux avaient éloignés de tels comportements. Après l'entrée dans cette "classe politique" des femmes se déféminisent, même d'anciens ouvriers communistes s'approprient les critères du notable politique préalablement résumés.
Cette situation est aujourd'hui menacée par des signes annonciateurs d'éventuels changements profonds.
L'émergence d'une méfiance vis-à-vis du Pouvoir
Pendant des décennies, les citoyens Français ont entretenu un rapport particulier avec l'Etat. Ils voyaient l'Etat comme ils voyaient les monarques, plus alliés qu'ennemis, plus protecteurs que dangereux, plus garants que menaçants.
Ces qualités de protection, de sécurité, de gardien de la liberté individuelle s'effondrent ou se sont déjà effondrées. Comment l'Etat pourrait-il être crédible pour protéger autrui alors qu'aux yeux d'un nombre de plus en plus important il n'est déjà plus apte à se protéger lui-même, que son fonctionnement est éloigné des règles élémentaires d'efficacité et encore davantage d'efficience ?
La population évolue donc vers une conception à l'anglo-saxonne marquée par la méfiance vis-à-vis du Pouvoir. Elle craint les abus de pouvoirs ; donc elle souhaite que le Pouvoir fasse peu, ne s'occupe plus de tout.
L'exemple le plus poussé de cet état d'esprit est celui des Etats-Unis où la Liberté c'est l'absence de Gouvernement.
Cette évolution emporte avec elle, tous ceux qui incarnent le Pouvoir. Elle emporte également ceux qui sont des "satellites" du Pouvoir à l'exemple de la presse et de la justice.
Cette méfiance creuse un fossé entre les personnes de Pouvoir et les citoyens. Tant que ce fossé existera ou pire s'il s'amplifie, c'est le divorce assuré entre deux mondes au mieux séparés et au pire totalement opposés.
La fin des "prêt à porter"
Un grand hebdomadaire national vient de consacrer sa une aux "iconoclastes". Le divorce entre la "classe politique" et les citoyens laisse un espace pour une nouvelle pensée et une nouvelle parole qui heurtent délibérément les "repères officiels".
L'opinion publique française va-t-elle installer une mode passagère ou réellement un nouvel état d'esprit ?
Si c'est une mode passagère, son caractère éphémère va signifier qu'en dehors de "marginaux", tout rentrera vite dans l'ordre traditionnel. La "classe politique" ne sera donc pas sérieusement ébranlée dans ses repères habituels.
Si c'est l'installation d'un nouvel état d'esprit, il faut se préparer à l'émergence d'actes fondateurs "révolutionnaires" à l'exemple des attitudes suivantes communes dans d'autres démocraties mais totalement étrangères aux moeurs politiques françaises :
- imagine-t-on un candidat à la présidentielle venir rencontrer des ouvriers en portant une chemise à carreaux avec les boutons supérieurs ouverts et une casquette d'ouvriers sur la tête : provocation ou similitude ?
- l'émergence de tabloïds sans tabou y compris sur la vie privée des responsables politiques. Pourquoi choisiraient-ils ce qui est bon pour leur communication et ce qui est interdit. L'opinion doit tout connaître dés l'instant que c'est vrai. La limite ne devient plus l'objet de l'information mais de ne pas présenter comme vraies des informations que l'on sait manifestement fausses,
- la fin de l'expression "nation" dans les enjeux internes des décisions gouvernementales. Il n'existe plus d'intérêts général abstrait supérieur aux intérêts particuliers organisés,
- la reconnaissance de la diversité territoriale. La France uniforme prend fin. Des différences significatives existent et sont reconnues d'un région à l'autre,
- la remise en cause des conditions générales de fonctionnement d'une presse française plus préoccupée par les opinions que par les informations.
Voilà quelques uns des principaux tests. A vouloir exclure les citoyens de la "classe politique" cette dernière risque un retour en force des premiers particulièrement violent. C'est tout l'enjeu de l'avenir de la notion de société civile.