Les primaires à la Française (Edito 23)
Aux Etats Unis d'Amérique, les élections reflètent généralement le culte du neuf. L'électorat entend rompre avec le passé pour tendre vers le meilleur. Dans ce cadre, le mot "nouveau" est l'un des mots magiques de toute campagne électorale.
Roosevelt lança le "new deal". Kennedy annonça la "nouvelle frontière". Johnson fit la promotion de la "nouvelle société" pour tourner la page des années Kennedy. Reagan engagea le "nouveau départ" pour rompre avec la faiblesse de Jimmy Carter?
Enfin GW Bush a surfé sur le "nouveau patriotisme" pour renouer avec les années Reagan et dénoncer les années Clinton d'une Amérique empêtrée dans des scandales peu honorables.
Ce cadre est donc favorable à l'émergence de nouvelles candidatures. Mais elles sont tellement nombreuses que tout l'enjeu d'une primaire consiste à construire son pouvoir d'évocation parmi une multitude de candidats. Ainsi, pour s'en tenir à la dernière campagne de 2004, le Parti Démocrate a compté au départ des primaires pas moins de 72 candidats à l'investiture.
Jusqu'à ces dernières années, la culture politique française était à l'opposé de ces deux repères.
Pour une élection majeure, parce que les électeurs français étaient toujours dans la culture de "l'homme providentiel", la nouveauté faisait peur. La nouveauté c'était l'inconnu. L'expérience constituait donc un filtre incontournable.
L'expérience, c'était l'apprentissage des règles. Les primaires n'existaient pas. C'était le temps et non pas les électeurs qui filtrait les candidatures à l'élection où la France ne devient qu'une seule et unique circonscription.
Cette page est en voie de se tourner. Pour l'élection présidentielle de 2007, il y a aujourd'hui plus d'une trentaine de candidats sur la ligne de départ.
Ce nouveau climat n'est pas propre à l'élection présidentielle. Au niveau des élections législatives, il en est de même dans chaque circonscription. Que traduit cette nouvelle réalité ?
C'est la fin d'une organisation autoritaire et centralisée du système politique français. La crise a entraîné la faillite d'une forme d'élitisme qui voulait que les plus capables soient toujours en haut de l'échelle et qu'ils puissent ainsi "guider" ceux d'en bas dans la direction souhaitée. Cet état d'esprit là est révolu. Cette conception un peu mystique est terminée. Ce "modèle"reposait sur une forme de méritocratie supposant que les plus doués sur le plan intellectuel soient les plus capables d'exercer le pouvoir. Non seulement, il n'y a plus d'élite reconnue et acceptée mais encore l'appartenance aux "cercles parisiens" est en passe de devenir une "tâche" à l'exemple de la seule mention de Washington dans la vie politique américaine.
Second trait important, c'est l'érosion de la conception des "hommes providentiels". Ce paternalisme institutionnel est le creuset de la Vème République. La centralisation du pouvoir donnait une impression de puissance que dégageait une logique de concentration de tous les pouvoirs vers le sommet d'où la nécessité d'une sélection rigoureuse. La terminologie employée portait en permanence cette conception. L'Elysée est qualifiée "le Château". Il est souvent question de "règne" ou le commentaire permanent selon lequel "le pouvoir a décidé". Lorsqu'il y a des contestations, il est fait état que "les syndicats s'opposent au pouvoir".
Avec la décentralisation, puis la cohabitation, ensuite une logique présidentielle réduite au "ministère de la parole" sans suite concrète immédiate ; cette logique historique a pris fin.
Ce sont deux modifications structurantes qui donnent naissance à une nouvelle logique de représentation, de candidatures comme d'exercice des mandats.
Il est souvent question d'un système politique français bloqué. Dans ce domaine, une évolution est intervenue en douceur mais elle est constitutive d'une véritable révolution. Par le hasard du calendrier, elle frappe en premier l'élection présidentielle. Comme cette élection est le vrai pivot de l'ensemble de la vie publique française, c'est l'ensemble des échéances électorales qui seront rapidement contaminées par ce nouveau climat. Sous cet angle, une nouvelle République est déjà née.