Le "phénomène" S. Royal (Edito 24)
Dans chaque période pré-présidentielle, la France éprouve deux tentations désormais coutumières. La première est celle de l'imitation. La seconde est celle du frisson du neuf.
La vie politique française semble en effet préférer l'imitation à l'invention. Le dernier exemple en date réside dans la nouvelle mode de l'accession de femmes à des fonctions publiques de premier plan. L'ambiance est désormais au raisonnement suivant : après le Libéria, l'Allemagne, la Finlande, le Chili ...pourquoi une femme ne deviendrait-elle pas Présidente de la République en France ?
C'est une imitation d'ailleurs très réductrice car, dans ces exemples de pays étrangers, aucune des femmes concernées n'est parvenue à sa fonction sur la base d'un tel raisonnement. Chacune de ces femmes a un cursus distinct original qui n'est aujourd'hui transposable à aucune femme politique française.
La seconde tentation est celle du frisson du neuf. Avant chaque élection présidentielle française, l'enjeu consiste à trouver le schéma qui perturberait les rapports de forces classiques.
Jusqu'en 2002, dans cet esprit, la mode était au "troisième homme" surgit "d'ailleurs" c'est-à-dire ni de la principale force de droite (UNR puis UDR ensuite RPR et enfin UMP) ni de la principale force de gauche c'est-à-dire le PS.
Depuis 1974, chaque année précédent l'élection présidentielle a vu naître son "troisième homme". Ils eurent pour noms Michel Jobert en 1974, Coluche et Yves Montand en 1981, Bernard Tapie en 1988, le dernier en date fut JP Chevènement lors des présidentielles de 2002.
Face aux échecs cinglants systématiques de ces "troisièmes hommes", la mode semble passer du "troisième homme" à la "première femme".
Là aussi, il y a matière à s'interroger sur la réalité de cet espace. N'a-t-il pas déjà été occupé ? S'il s'agit de la première femme dans les enquêtes d'opinions, Simone Veil de façon constante, Martine Aubry, Michèle Barzach ont ponctuellement occupé déjà les premières marches des sondages.
Pour parler d'un "phénomène" Ségolène Royal, il faut que son actuelle popularité ne repose sur aucune de ces tentations éphémères de la vie politique française c'est-à-dire ni imitation ni frisson du neuf. Deux éléments de réponses sont certains à ce jour.
D'une part, le décalage entre les repères traditionnels des politiques de 1er plan et la société est aujourd'hui quasi-total.
Les premiers ne parlent pas comme la seconde. Tout est en décalage. Le 1er terme ci-dessous est celui utilisé par les responsables politiques. Le second est celui attendu par la société. Le décalage est édifiant :
- collectivité / individu,
- travail / loisirs,
- religion / matérialisme,
- efforts / jouissance,
- certitude, doute,
- optimisme / angoisse,
- croyance / peurs,
?
Cet décalage crée un espace. Comme ce décalage est plus important que jamais, il est aussi exact que cet espace est donc plus grand que d'ordinaire.
Le second repère est que l'ambiance actuelle est aux valeurs féminines. Dans un monde d'angoisses et de précarités, la recherche d'harmonie appelle des concepts, des mots, des attitudes plus proches des valeurs féminines traditionnelles.
De la conjugaison de ces deux facteurs peut-il résulter un réel créneau pour Ségolène Royal ou s'agit-il d'abord voire exclusivement d'un "phénomène purement médiatique" par définition très éphémère ?
S. Royal doit surmonter deux obstacles pour s'inscrire pleinement dans une course présidentielle réelle. D'une part, la présidentialisation du régime accroît l'importance perçue du rôle déterminant du Chef de l'Etat. Dans un pays à la conception marquée par "l'homme providentiel", le caractère de S. Royal est ressenti comme n'ayant pas encore été suffisamment trempé par les épreuves. D'autre part, il faut compter sur un parti politique qui soit un outil performant de campagne.
Il y a donc un fossé entre la candidature virtuelle et la campagne réelle.