Le nouveau pouvoir canadien (Edito 25)
De façon très étonnante, les médias français ont consacré une très large couverture médiatique aux récentes élections au Chili et en Bolivie mais très peu au Canada. Ces élections ont pourtant été lourdes de significations qui devraient intéresser la démocratie française.
1er enseignement, plus que jamais, "sondage n'est pas vote".
En deux mois, de novembre 2005 à janvier 2006, les intentions de vote d'une opinion publique comparable à celle de nos démocraties ont été totalement modifiées.
En novembre 2005, la victoire du parti Libéral apparaissait acquise à un point tel que les observateurs présentaient officiellement la campagne à venir comme "inutile et jouée d'avance".
Le 10 janvier 2006, le Parti Libéral était devancé dans les sondages et il ne devait plus reprendre la tête de la course électorale. Cette situation montre la mobilité des corps électoraux actuels. Ils ne sont plus ancrés solidement. Ils peuvent donc zapper très rapidement.
Pourquoi ont-ils zappé lors de cette élection de janvier 2006 ?
Là réside le second enseignement majeur. L'usure du pouvoir ajouté aux soupçons de corruption sont deux détonateurs ingérables en temps de crise.
Le scandale des commandites a éclaté au milieu des années 90. Pourquoi a-t-il été à l'origine d'un coup de grâce électoral seulement en 2006 ?
Parce qu'en temps de crise, les "gens ordinaires" ne pardonnent plus le moindre écart à leurs dirigeants. Puisque les dirigeants ne sont pas capables de les sortir de la crise, ils doivent être au moins irréprochables.
Ce résultat électoral n'est pas la victoire d'un Parti conservateur. Il est d'abord le succès d'un populisme contemporain. Des mots simples, des images fortes, des valeurs levées comme des drapeaux rassembleurs et l'opinion entend "remettre de l'ordre" c'est-à-dire tout simplement rappeler les idéaux qui fondent sa vie en communauté.
Cette victoire du Parti Conservateur est enfin le symbole de l'enracinement contemporain.
La société est perçue comme étant à la dérive. Le futur est crépusculaire. Chacun est ballotté sur l'océan de la vie avec des issues imprévisibles. Dans ce contexte, chacun aspire à une corde de sécurité. C'est l'enracinement contemporain.
Cette corde a été double pendant cette élection.
D'une part, le retour au patriotisme national rassurant. Stephen Harper a su créer une fierté d'appartenance qui faisait appel à toutes les images emblématiques du Canada qu'il a progressivement décrit comme un "pays-couette" où il ferait bon retrouver le confort, la sécurité, l'union.
Enfin, l'évènement qui mérite une attention particulière c'est le dernier discours de campagne qu'il ponctue d'un "God bless Canada". C'est la 1ère fois qu'une telle expression était utilisée amenant une référence religieuse.
Même dans les démocraties les plus avancées, le besoin de spiritualité est de plus en plus fort. Là est le second volet de l'enracinement contemporain.
L'institute for Canadian Values (ICV), avait analysé un besoin de renouveau spirituel : le temps de fouiller dans les valeurs passées pour mieux trouver un point d'ancrage dans l'avenir.
Toute la campagne de Stephen Harper est bâtie sur ce socle. Trouver des significations profondes pour identifier l'âme collective avec laquelle il importe de se réconcilier pour mettre un terme aux égarements ponctuels.
Le Canada est aujourd'hui l'une des principales puissances économiques au monde. Il n'accepte plus et de façon légitime les éventuelles leçons de la France qu'il considère comme l'ayant devancée dans tous les domaines majeurs.
Il importe d'observer que cette base culturelle à la campagne du Parti Conservateur lui a assuré sa meilleure poussée dans la Province de Québec et parmi la population la plus francophone. Il y a là une donnée à méditer.