L'autorité (Discours 57)
De tous côtés, il est question de l'affaiblissement de l'autorité. Aucun groupe social ne parait échapper à cette situation. En matière d'institutions politiques, ce n'est plus l'autorité qui fonde une décision mais le débat et la médiation permanente avec les représentants du secteur concerné.
Dans les rapports du travail, les décisions des chefs d'entreprises ne font autorité que si préalablement elles ont obtenu l'accord des représentants des personnels.
Les procédures administratives ont été entièrement modifiées ces dernières décennies pour mettre en place des procédures de plus en plus strictes d'association des personnels comme des usagers.
Les exemples fourmillent donc de "dilution" de l'autorité au cours des dernières années.
En réalité, au-delà de ces exemples, chacun perçoit que le mot "autorité" recouvre deux situations très différentes.
Il y a d'une part une situation juridique qui rattache la notion d'autorité au pouvoir lié à une fonction, à l'exercice de compétences. D'autre part, il y a aussi un aspect purement psychologique. L'autorité se fonde alors sur une supériorité de mérite, de séduction, de conviction, de confiance, de respect. C'est souvent ce dernier volet qui était le plus souvent mis en évidence dans les temps lointains des périodes de combats. L'autorité du chef émanait d'abord de son charisme et de ses capacités à motiver un groupe.
Ces deux facettes, juridique et psychologique, ne sont probablement pas aussi dissociables qu'il n'y parait au premier regard.
L'affaiblissement de l'autorité dans les institutions politiques réside d'abord historiquement dans les abus d'un pouvoir sans partage qui donnait naissance à une autorité sans limite. Face à ces abus, il a fallu alors ériger des barrières. Montesquieu prit le contre-pied de la théorie du droit divin et posa le principe que le pouvoir doit arrêter le pouvoir pour qu'il ne dégénère pas en tyrannie. C'est une période où l'autorité devint principalement associée à l'arbitraire et à l'oppression.
Toutes les barrières construites pour canaliser l'autorité l'ont été au nom des libertés.
Est-ce qu'il suffit de diluer l'autorité pour protéger les libertés ?
La réponse est plus compliquée.
D'abord, nos sociétés doivent redéfinir le rapport à la règle. Il y a aussi des circonstances où la règle protège et la liberté opprime. Nous pouvons vivre des situations de ce type en matière économique ou dans l'application de la politique de sécurité dans des zones difficiles.
Ensuite, il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui les moyens d'exercice d'une autorité peuvent être dans les faits considérablement plus divers voire plus étendus que par le passé. Sans tomber dans la description d'une technologie apocalyptique dans lequel l'individu serait surveillé à chaque instant dans les actes de son existence, force est quand même de constater que les nouvelles technologies renforcent considérablement les moyens techniques de l'exercice d'une autorité.
Enfin, et là réside probablement le principal enjeu, la question centrale repose sur la définition d'un nouvel équilibre à trouver dans la relation entre liberté et autorité. Nos sociétés politiques, économiques, sociales doivent redéfinir l'équilibre entre ce qui témoignerait d'une absence d'autorité consacrant de fait "la loi du plus fort" et ce qui caractériserait un excès d'autorité faisant triompher une raison d'Etat ou toute autre raison analogue notamment économique.
Nous sommes sortis du clivage manichéen où pour les uns se réclamant d'un idéal de liberté, toute autorité signifiait nécessairement enfance de tyrannie tandis que pour d'autres l'autorité demeurerait toujours le seul moyen d'organiser un groupe social.
Mais nous ne sommes pas encore entrés dans l'application de ce nouvel équilibre ; d'où la raison d'être de nombreuses difficultés actuelles. La mise en ?uvre de ce nouvel équilibre est probablement l'un des principaux sujets des prochaines années.