Le retour d'Alain Juppé (Edito 31)

  • Alain Juppe
  • Exprimeo

Le quotidien Sud Ouest a publié une information selon laquelle le Maire de Bordeaux aurait consulté sa majorité municipale sur un éventuel retour d'Alain Juppé.

Cette consultation serait intervenue à l'issue d'un séminaire le 25 février 2006. Puis, après la sortie de cette "révélation", le maire d'ajouter que la majorité municipale se rangerait "sans l'ombre d'un état d'âme" derrière la décision d'Alain Juppé.

Autant d'étapes qui crédibilisent l'hypothèse d'un retour d'Alain Juppé.

Bernanos prophétisait "on ne refera pas la France par les élites. On la refera par la base".

L'enjeu du retour d'Alain Juppé est résumé dans cette formule. Quel sera le pouvoir d'évocation d'Alain Juppé lors de son retour ?
Trouvera-t-il les termes d'un nouveau "faire part de naissance" attestant que la distance l'a amendé et qu'il n'est plus le symbole caricatural des élites que le pays souhaite sanctionner ?

C'est un enjeu majeur.

Toute la popularité de Ségolène Royal repose sur la notion de différence. L'essentiel du pouvoir d'évocation de Nicolas Sarkozy a été bâti sur la notion de rupture qu'il a patiemment construite à partir d'oppositions multiples avec le Président de la République.

A l'occasion du retour d'Alain Juppé, comment montrera-t-il qu'il a changé et si c'est le cas pour occuper quel créneau ?

Tout se met en place pour que le scrutin présidentiel de 2007 soit la vraie fin du siècle dernier. Ce qui paraît de plus en plus établi c'est que ce scrutin sera la fin des "équilibres" institutionnels conçus par la Constitution de 1958. Il y aura deux camps. Ceux qui sont rattachables à cette page que l'opinion souhaite tourner et ceux qui ne seront pas rattachables.

Les premiers vont probablement rencontrer d'immenses difficultés pour ne pas être emportés par une vraie fin de régime politique. Les deux mandats de J. Chirac se profilent de plus en plus comme une vraie "tragédie collective" d'une France qui a reculé sur la quasi-totalité des fronts. Sans capacité à incarner à son tour "une vraie rupture" suite à une prise de conscience due à sa distance géographique, ce retour d'Alain Juppé risque vite d'apparaître soit trop tard soit trop tôt.
Trop tard pour sauver le bilan des deux mandats de J. Chirac dont le crédit aux yeux des Français risque d'osciller entre amusement et sévère condamnation.

Trop tôt pour incarner une sorte de nouvelle alternance face à l'échec de ceux qui ont occupé "la place" en son absence.

Le rythme des scrutins ne correspond pas au rythme de la reconstruction de l'image d'Alain Juppé dans l'opinion publique Française. Si le retour d'Alain Juppé correspond à la volonté de réincarner la "parole du maître", cela correspondrait à un quasi-suicide politique tant cette tâche paraît sans véritable utilité.

Si le retour vise, ce qui paraît plus probable, à reprendre position sur l'échiquier politique Français, c'est manifestement très tôt. Qui pourra penser qu'il a changé en près de 15 mois ? C'est probablement un mauvais usage du retour car prématuré.

Le retour d'un homme politique sur le devant de la scène repose sur deux facteurs :

- le sentiment de durée qui fait naître tant la perspective de changement de l'individu que celle de souffrance de celui qui est "mis à l'écart",

- le sentiment de besoin qui rend légitime l'appel à "l'exclu".

Où sont aujourd'hui ces facteurs de durée et de besoin ?

Un retour prématuré dégagera l'image d'un individu qui semble se fuir dans l'action plutôt que de s'être trouvé dans la réflexion.

Toutes ces observations montrent l'étroitesse du chemin dans de telles circonstances.

Paul Valéry disait que "la grande affaire de ce temps est l'accélération de la suppression du passé".

Mais dans les faits cette accélération est sélective. Elle risque d'aller parfois trop vite et dans d'autres cas choisir un rythme qui paraît aux intéressés s'avérer tellement lent...

  • Publié le 14 mars 2006

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