Le pouvoir et la jeunesse (Edito 32)
La politique est tout sauf un "long fleuve tranquille". Qui aurait pu prévoir lors du fameux week-end de rentrée politique du 03 et 04 septembre 2005 qu'en un semestre la situation politique française évoluerait dans de telles conditions ?
A cette époque, début septembre 2005, l'accident vasculaire du Président accélère le sentiment, jusqu'alors confus, qu'une prochaine candidature présidentielle de J. Chirac serait désormais bien improbable. Mais au même moment, dans des circonstances en totale rupture, la France se découvre un jeune Premier Ministre "sortant des eaux", faisant son footing sur la plage en compagnie notamment de son jeune fils. Pour beaucoup, dans de tels moments, la dyarchie au sommet de l'Etat présente décidemment bien des avantages.
La France se découvre un jeune Premier Ministre. Il en a l'esprit. Il en a surtout l'allure. Bref, tout son style semble fait d'une séduction jusqu'alors peu partagée dans la classe politique classique.
Six mois plus tard, ce "jeune" Premier Ministre est en instance de divorce avec la jeunesse. Il n'est plus celui qui pouvait incarner le changement de génération au sein d'une classe politique usée et discréditée. Il est en passe d'incarner le "vieil esprit politique" fait de certitudes implacables, d'autisme irréductible, de coupure entre le Pouvoir et les citoyens.
Bien davantage, cette attitude réconcilie des logiques jusqu'alors séparées. De façon assez surprenante, la jeunesse en acceptant une cohabitation aussi facile avec la gauche et les syndicats offre à ces derniers une occasion inespérée de se "refaire une nouvelle jeunesse".
Qui peut sérieusement défendre que les syndicats français s'occupent des jeunes exclus du monde du travail ? Les syndicats français s'occupent d'abord, voire quasi-exclusivement, des salariés et non pas de ceux qui veulent devenir salariés.
Quant aux forces politiques dites de gauche, en dehors des emplois jeunes, elles n'ont pas brillé sur ce terrain ni par leur imagination ni par les résultats. Pour arriver à ses fins (le retrait du CPE), la jeunesse ne parait pas regardante quant aux alliés ponctuels qui sont désormais les siens.
Dans de telles conditions, ce mouvement porte en lui deux dynamiques parallèles. Il ringardise l'actuel Gouvernement en le caricaturant comme le Pouvoir d'hier celui qui n'écoute pas, ne dialogue pas, n'évolue pas. Dans le même temps et c'est peut-être là le phénomène le plus redoutable pour le Pouvoir en place, il accepte de rénover l'image de marque de la gauche et celle des syndicats.
Il y a là deux dynamiques aux effets électoraux redoutables puisqu'elles retranchent d'un côté et ajoutent de l'autre côté. La situation aurait été très différente si les jeunes protestataires avaient par exemple refusé de s'associer à certains partis politiques les renvoyant dos à dos face aux échecs constatés.
En matière d'insertion professionnelle des jeunes, la France est en situation ancienne de grave échec manifeste. Personne ne peut ramener cet échec à l'enjeu du CPE. Cet échec est le fruit de maux considérablement plus graves :
- un enseignement trop déconnecté de la vie professionnelle,
- des entreprises insuffisamment impliquées dans la formation,
- des rigidités et des charges excessives dans le droit du travail qui, de façon incontournable, sont à réviser en cette période de globalisation économique accélérée.
Tous ces sujets ne sont pas abordés. L'actuelle addition des refus protestataires repose essentiellement sur deux points :
- le refus de la distance entre le Pouvoir et les citoyens. Le vrai défi pour D. de Villepin n'était pas la solidité dans l'épreuve mais sa capacité à montrer sa proximité. Les Français sont las que leurs Institutions puissent être aussi distantes des citoyens (voir Outreau),
- le refus de partir dans une échelle des risques dont chacun ne voit plus le sommet. Contrairement à beaucoup d'affirmations, toutes les enquêtes montrent que les français ont évolué dans la reconsidération d' acquis sociaux. Mais aujourd'hui, ils n'arrivent plus à quantifier l'échelle des risques.
Sur ces deux points, une nouvelle fois, la jeunesse est le porte voix d'une large majorité de la population qui se pose des questions identiques. Là est la vraie portée de la situation actuelle.