L'opinion publique en pleine déprime ? (Discours 65)
Un état semble caractériser l'ensemble de l'opinion publique française : la déprime. Les français ont perdu le sens de l'avenir. Il devrait être une chance. Il est une menace.
Pendant longtemps, l'opinion publique a raisonné en terme de bilan. Puis, devant l'immensité des questions s'ouvrant à elle, l'opinion a commencé à réfléchir en terme d'héritage. La notion d'héritage c'est ce qui est destiné à demeurer dans le temps. Si le bilan est modeste, l'héritage fait peur. Il n'y a pas un domaine qui ne fasse l'objet de questions majeures. Les générations passées ont imprégné celles qui les ont suivies. L'actuelle génération paraît incapable de préserver l'héritage qu'elle a reçu et incapable de déterminer précisément l'héritage qu'elle laissera.
Une génération de l'éphémère, de la rareté avec un apport encore à décanter.
Une génération de l'éphémère qui donne la priorité à l'urgence permanente : rapidité du retour sur investissement pour l'entrepreneur, rapidité du retour sur popularité pour les responsables politiques. Tout le monde semble évoluer dans l'instant. Cette culture est revendiquée au point que l'érosion accélérée des individus, des idées, des modes, des goûts et même des conditions de vie est désormais l'univers quotidien de chacun.
Une génération de la rareté qui donne en permanence le sentiment d'hypothéquer l'avenir par des comportements quasi suicidaires ou pour le moins gravement préjudiciables à l'ensemble du genre humain. Chacun dénonce les effets du pilotage à vue mais personne ne donne pour autant l'impression de prendre un "autre chemin".
Il n'y a plus de système de pensée, explicatif du monde, débouchant sur une philosophie de l'action politique. Qu'est ce qui peut fonder aujourd'hui un vote ? Etre de gauche ou de droite, c'est quoi ?
Le désir de changement ferait-il encore la différence entre le progressisme de gauche et le conservatisme de droite ? Ce n'est plus le cas. Dans de très nombreux domaines, la "défense des acquis" est un combat revendiqué par la gauche.
Comment comprendre une opinion publique tellement éclatée qu'à un 1er tour d'une élection présidentielle, aucune force politique ne dépasse le seuil du cinquième des suffrages exprimés ?
A ce même scrutin, les votes exprimant des "cris d'alarme" sont supérieurs aux votes exprimant des "actes de gestion".
Si l'opinion est aujourd'hui en pleine déprime c'est parce qu'elle sait qu'elle est défaillante sur un enjeu majeur : préserver l'avenir.
Notre génération porte en elle les bonnes questions mais elle bute sur la volonté donc la capacité à apporter les bonnes réponses.
Les retraites, la dette, le logement, l'égalité des chances, l'eau, le réchauffement climatique...au plus profond de nous, notre génération sait qu'elle est à l'opposé de ce qu'il faudrait faire pour laisser un héritage de qualité.
Pourquoi ?
Parce que certaines mesures seraient trop coûteuses pour être mises en oeuvre immédiatement.
Parce que finalement aucun responsable public ne nous demande de fixer réellement de nouveaux caps dans une courte durée qui puisse nous impliquer.
Parce que, peut-être plus gravement encore, ne nous sommes-nous pas habitués à voir diminuer notre apport au monde à venir, acceptant le dépérissement collectif après notre disparition dans une logique qui ressemble beaucoup de fait à un "après nous, le déluge..."?
Cet état d'esprit résume à lui seul une situation de faillite collective qui met en évidence l'incapacité de conduire à une maîtrise de l'homme sur son univers. Dans ces circonstances, des repères séculaires s'effondrent. Notre sécurité psychologique s'en ressent.
Un intellectuel remarquait "qu'on peut obliger un peuple à applaudir mais pas à sourire".
C'est vrai que le sourire n'est plus de mode. Mais si cet état n'était plus le moyen d'éviter les questions mais de se préparer à apporter enfin les bonnes réponses ?