La place des Institutions (Edito 34)
"Pour tout homme, recevoir le pouvoir c'est un peu comme pour un champ recevoir la grêle". Cette formule d'un intellectuel français paraît particulièrement adaptée aux circonstances récentes. Faut-il en déduire que les titulaires du pouvoir sont incapables d'honorer les circonstances auxquelles ils sont confrontés ou que les institutions de la Vème République constituent désormais un cadre inadapté aux défis modernes ?
La IV ème République est morte du nombre exceptionnel des crises ministérielles et de la faiblesse du Parlement à trouver un point d'équilibre entre les exigences du moment, les engagements pris devant les citoyens et l'organisation d'une révision constitutionnelle rendant de l'efficacité aux pouvoirs.
Dans ce contexte, les sources intellectuelles de la Vème République ont été au nombre de trois pour l'essentiel.
Tout d'abord, l'immense apport de Michel Debré qui a développé très tôt ses idées forces en la matière :
- évoluer vers un Gouvernement fort et démocratique,
- en plaçant un Chef de l'Etat élu pour 12 ans dans la position d'une sorte de monarque républicain garant de la continuité nationale par delà les passions ponctuelles ou les crises conjoncturelles.
Le second apport intellectuel significatif fut celui de René Capitant qui a défendu deux idées maîtresses :
- il faut évoluer vers des exercices directs de souveraineté populaire dont l'élection du Président de la République au suffrage universel direct,
- sur le plan économique et social, il importe de mettre en place des outils novateurs pour une vraie politique de participation.
Enfin, le dernier apport essentiel fut celui du Général de Gaulle qui a défendu trois priorités principales :
- le caractère relatif de toute Constitution. Une Constitution n'est pas bonne en soi mais elle n'est bonne que si elle permet de correspondre aux nécessités politiques d'un peuple,
- la raison d'être d'une Constitution c'est d'abord d'assurer l'efficacité du pouvoir politique disposant des moyens nécessaires pour engager la France dans le dynamisme économique,
- placer le pouvoir à l'abri du régime des partis politiques.
Tous les auteurs s'accordent à reconnaître qu'il s'agit là des trois inspirateurs fondamentaux de la Constitution de la Vème République et que leur apport conceptuel peut être résumé selon les principes préalablement exposés.
Que sont devenus ces principes près de 60 ans plus tard :
- la durée du mandat présidentiel s'est considérablement raccourcie. Est-il possible de conserver le même positionnement d'arbitre avec un mandat présidentiel de 5 ans ? Il est possible d'en douter.
- la participation démocratique fréquente notamment par l'organisation de référendum n'a pas trouvé un souffle réel en dehors de consultations symboliques. Quant à la participation économique et sociale, elle semble relever davantage des grands principes que de la réalité du quotidien,
- l'idée que la Constitution puisse permettre l'émergence d'un pouvoir politique fort guidant la France dans la voie de l'efficacité économique, personne ne peut reconnaître aujourd'hui une telle compétence au pouvoir politique face à la mondialisation des marchés.
Il est donc aisé de constater que les repères initiaux de la Vème République ne sont tantôt plus d'actualité tantôt hors d'atteinte de l'actuel pouvoir.
Pour toutes ces raisons, il paraît temps que soit de nouveau ouvert le dossier de la réforme des Institutions qui sont le cadre de l'exercice du pouvoir. Passer son temps à dénoncer "la nullité" des acteurs de notre vie publique est une approche non seulement grave à terme sur le fond par son injustice manifeste mais surtout exempte trop facilement de moderniser des Institutions aujourd'hui en profond décalage avec les défis d'une nouvelle époque.