J. Chirac et l'après 21 avril 2002 (Edito 36)
"Lorsque j'emploie un mot, il signifie ce qu'il me plaît qu'il signifie , ni plus ni moins". Dans le conte d'Alice au pays des merveilles, cette formule est celle du porte parole de la Reine Rouge. Sous cet angle, la politique française est devenue un conte permanent. Le dernier exemple en date est l'utilisation du mot "remplacement" pour éviter à tout prix le recours aux mots "retrait" ou "abrogation" plus chargés de symboles dans la récente crise du CPE.
Cette remarque sur le choix des mots est l'exemple anecdotique du fossé qui existe désormais entre les citoyens et leurs représentants et plus particulièrement le premier d'entre le Président de la République. Ce fossé n'est pas aussi anodin qu'il y parait. Si le langage gouvernemental n'est plus le même que celui des citoyens comment peuvent-ils se comprendre ?
Les idées, les projets collectifs peuvent-ils exister sans les mots ?
La réponse est non. Bien davantage, les français ont désormais le sentiment que non seulement les mots n'ont plus le même sens pour eux que pour leurs dirigeants mais que ces derniers ne s'engagent très souvent que sur des mots.
Le scrutin du 1er tour des élections présidentielles d'avril 2002 a porté tous les éléments de la crise de la représentation politique. L'offre était excessivement éclatée montrant ainsi que les formations "classiques" étaient débordées par des représentations plus sectorielles. Quant aux résultats du 1er tour avec l'élimination du candidat socialiste, Premier Ministre sortant, tous les commentaires ont été effectués à ce sujet. Les commentaires mais pour quelles actions pratiques ensuite ?
Depuis avril 2002, aucune réponse concrète n'a été apportée à cette crise profonde et grave révélée par le scrutin de 2002. Bien au contraire, tous les facteurs de cette crise semblent avoir pris un poids accru depuis cette date.
La crise des partis politiques est toujours là. Rien n'a été fait pour tenter de surmonter le discrédit généralisé qui éloigne d'eux bon nombre de citoyens et qui favorise un abstentionnisme à un niveau record.
L'image de "monarchie républicaine" s'est accentuée aggravant d'autant le sentiment que les élites politiques sont totalement coupées des réalités de la vie quotidienne.
Le Parlement a continué sa "descente aux enfers", coincé entre l'Europe et des collectivités locales toujours plus puissantes.
Tous les acteurs de la vie politique nationale semblent guidés pas tant par les solutions aux problèmes que par la prochaine échéance présidentielle qui rythme une communication de pré-campagne présidentielle permanente.
Deux autres phénomènes ont émergé depuis ces dernières années. Le Conseil Constitutionnel est apparu comme le vrai arbitre des débats de société au détriment des pouvoirs politiques habituels. La loi et l'institution judiciaire sont désormais en crise ouverte.
Le tableau général s'est donc encore noirci depuis avril 2002.
L'inaction semble d'abord résulter d'un désarroi sans précédent. Le pouvoir politique paraît totalement décontenancé face à cette réalité qui lui échappe irrémédiablement.
Le méccano politique paraît composé de pièces détachées désormais impossibles à remettre en ordre. C'est probablement la première fois à ce point depuis 1958 que le Pouvoir dégage le sentiment d'un "bateau ivre" dont le seul souci de l'équipage est de reporter l'échéance du naufrage.
Dans ces conditions, puisque l'avertissement de 2002 ne peut être qualifié de salutaire puisque privé ensuite de réponses concrètes, quelle sera la prochaine étape ?
Deux récentes enquêtes ont donné des pistes de réponses. Le sondage sur l'extrême gauche a traduit un seuil de "crédibilité et de bonne opinion" réellement surréaliste. Le CPE n'a fait que des victimes y compris à gauche à l'exception de la progression de Besancenot, Bové et MG Buffet. Après avoir été débordé par l'extrême droite en 2002, l'échéance de 2007 ne va-t-elle pas vivre l'émergence historique de l'extrême gauche ? Cette évolution traduirait une réelle désintégration de la société française et la condamnation la plus redoutable du second mandat de J. Chirac.