Démocratie et sondages (01/02) (Edito 40)
Pas une semaine désormais ne se déroule sans que des sondages ne soient livrés à l'opinion publique. Pourquoi cette "sondomanie" et surtout quelles sont les conséquences pour la structuration de l'opinion publique ? A l'origine, le sondage est destiné dans une démocratie moderne à permettre d'entendre la voix du citoyen entre deux votes officiels. A l'exception des USA, la France est le pays qui produit le plus de sondages. Pourquoi ?
Plusieurs facteurs contribuent à cette situation.
Tout d'abord, l'absence d'un mode de sélection formalisé à l'élection présidentielle. Faute de processus clair, les sondages fournissent les éléments d'information et de clarification des forces en présence.
Ensuite, la généralisation d?un scrutin majoritaire simple qui fait que techniquement l'opinion doit finalement toujours se structurer de façon binaire y compris sur le plan local. Cette logique porte en elle une structuration permanente de l'opinion sur la base d'une question simple qui est celle de l'adhésion ou pas à la politique mise en ?uvre par le pouvoir en place.
Enfin, la Vème République est construite sur la base d'une "majoritisation" qui convient parfaitement à la logique des sondages.
Pour réduire cette influence des sondages donc leur nombre considérable, il faudrait par exemple :
- renforcer les Pouvoirs du Parlement et que celui-ci gagne dans la réalité d'influence sur la vie gouvernementale,
- que les élections législatives intègrent une forte part de proportionnelle c'est-à-dire permettent de désigner des représentants et non pas une majorité simple,
- ...
Dans ces circonstances, assistons-nous à un "gouvernement des sondages" ?
La réponse est négative. Chacun peut citer des indications de souhaits de l'opinion publique non suivis de conséquences pratiques par le pouvoir politique.
La profusion de sondages peut lasser l'opinion mais présente au moins deux effets positifs très importants :
* d'une part, elle réduit l'écart d'information entre les détenteurs de sondages privés et ceux qui n'ont connaissance que des sondages publics. Plus les sondages publics sont nombreux et diversifiés, moins cet écart d'information est grand. Ce qui est un bon point dans une démocratie.
* D'autre part, la multiplication des sondages réduit les risques d'intoxication donc de manipulation de l'opinion. Dés l'instant que les sondages sont très nombreux, celui qui ne respecterait pas une stricte rigueur professionnelle serait immédiatement corrigé par un autre sondage et serait ainsi placé en difficulté.
Tous ces arguments vont donc à l'opposé de bon nombre d'idées très souvent admises en la matière.
D'autres questions importantes demeurent quand même pour que cette "sondomanie" ne compte pas trop d'effets négatifs.
D'abord, les précautions nécessaires pour distinguer l'intention de vote et le vote. Le sondage n'enregistre pas un vote mais une intention de vote à un moment donné. L'intention est une chose. Le passage à l'acte en est une autre. L'histoire des sondages montre que la courbe de l'opinion publique ne présente jamais une grande régularité dans le rapport entre ces deux notions différentes.
Ensuite, l'élément majeur réside dans la fermeté de l'intention de vote. Cette notion très subjective montre vite l'approximation qui existe dans la notion même d'intention de vote.
Enfin, les instituts devraient clarifier publiquement la notion de "correction des résultats". Le redressement des sondages préélectoraux est une technique nécessaire qui a gagné en qualité mais qui laisse encore une part important à "l'intuition".
Tous ces enjeux vont connaître des développements nouveaux avec l'apparition des sondages via Internet (voir prochain numéro).