L'éthique du devoir (Edito 43)

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En France, ce qui est important sur le plan moral, c'est moins de respecter la loi faite pour tous que les lois que chacun s'est fait pour lui-même parées du nom de principes. Ces principes donnent alors naissance à une sorte de code des devoirs individuels. Il y aurait ainsi deux sortes de "lois".

La "loi extérieure" qui s'impose à tous. Cette loi peut être malmenée sans que cela ne suscite de trop grande réprobation morale.

A côté, voire même en complément, intervient une sorte de "loi intérieure" non écrite qui est constituée par l'ensemble des principes que chaque individu considère comme constituant son code de vie.

Prenons l'exemple du fonctionnement des services publics. Un agent d'un service public est plus affecté si vous mettez en cause son sens de l'honneur professionnel personnel que le respect du règlement. Un agent de la SNCF vous explique que le train doit arriver à l'heure non pas parce que le règlement lui impose dans le contrat passé avec les usagers mais parce que le conducteur en question serait à ses propres yeux indigne de sa réputation si tel n'était pas le cas.

C'est cette conception singulière de l'éthique du devoir qui explique l'importance de la fracture créée par une décision telle que l'amnistie bénéficiant à l'ex-champion olympique Guy Drut, désormais député UMP.

L'opinion publique y voit une double violation.

La première est celle qu'elle ressent comme l'exigence d'égalité devant une décision de justice qui doit être appliquée à tous dans les mêmes conditions une fois un jugement rendu.

Mais surtout, la seconde violation, c'est celle qu'elle perçoit à l'intérieur même des principes qu'elle considère comme devant être ceux d'un Chef d'Etat.

Son sens du devoir, donc d'honneur, devait lui commander de ne pas adopter de mesure dérogatoire a fortiori parce que le bénéficiaire ne pouvait être que manifestement l'un de ses amis. Si le bénéficiaire avait été un opposant notoire, l'argument de l'intérêt national détachable de la personne aurait pu retrouver un certain impact.

Cette décision est perçue comme une atteinte grave à l'impartialité dont le Chef d'Etat doit être le garant ultime dans son code des principes à respecter auprès de la nation.

La "morale républicaine" a été constituée autour de principes simples :
- le respect d'autrui,
- l'honnêteté,
- le sens de la justice avec ce terme dans une acception plus proche de l'équité que de la pure règle de droit,
- le refus de l'égoïsme,
- la générosité.

Ces termes constituent les fondements essentiels de la morale républicaine.

S'en émanciper exagérément constitue un grand risque pour un responsable public français.

La décision présidentielle d'amnistie heurte frontalement plusieurs de ces repères.

Il n'y aurait que "la générosité" qui échapperait à ce jeu de massacre et encore oser défendre cette position relèverait d'un cynisme proche de l'injure.

Par le choc ainsi créé, cette décision va replacer la notion de "principes" au centre des prochaines échéances électorales. Pour tourner la page de ce qu'elle ressent comme une forme "d'abus", l'opinion sera plus exigeante en matière de principes.

Ce seront les élections de la respectabilité. Les vainqueurs seront ceux qui seront capables plus que jamais d'inspirer confiance.

Cela ne signifie pas que l'électorat fera la chasse à chaque candidat ayant rencontré des "difficultés". Mais il leur appartiendra de montrer que leur vie ne peut se réduire à ces difficultés là et qu'ils en ont tiré toutes les conséquences pour l'avenir.

C'est une probable nouvelle règle du jeu, de nouvelles relations entre les citoyens et les candidats, surtout de nouveaux thèmes d'explications pour les candidats et d'explorations pour les citoyens.

  • Publié le 6 juin 2006

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