Le profil de crise (01/02) (Edito 53)
Winston Churchill avait une formule simple pour évoquer la façon de faire face à des périodes dangereuses : "il faut prendre l'évènement par la main avant d'être saisi par lui à la gorge". Cet aspect volontaire et courageux est l'une des caractéristiques du profil de crise. En réalité, ce profil répond à quatre considérations.
Tout d'abord, la reconnaissance par le grand nombre de l'état de crise. C'est aujourd'hui le cas quant à l'existence des critères de l'état de crise. Mais il n'est pas encore sûr que ces critères soient connus et reconnus avec la gravité qu'ils méritent.
Quel est le contexte international actuel ?
Des attentats déjoués en Grande-Bretagne, une guerre au Liban, des missiles tirés par la Corée du Nord, les dizaines de morts quotidiens en Irak, l'Iran qui veut se doter de la bombe, Gaza qui demeure une poudrière, des attentats sporadiques...: comment qualifier cette situation internationale ?
Aux Etats-Unis, un ancien leader républicain, Newt Gringrich, a lancé un pavé dans la marre en déclarant le 16 juillet "nous sommes à un stade initial de nouvelle guerre mondiale".
Début août, le nouvel ambassadeur iranien en France terminait un entretien au quotidien le Monde par les termes suivants " mais si Israël veut déclencher une troisième guerre mondiale, voyons si les Américains laissent faire".
En France, le journaliste T. Wolton (la 4ème guerre mondiale, Grasset, 2006) défend cette thèse. La nouvelle guerre a commencé en 1979, année de la révolution islamique en Iran. Avec différentes étapes internes de surenchères, nous sommes aujourd'hui à l'étape de la guerre des islamistes contre l'ensemble de l'Occident.
L'actuel conflit du Liban ne constitue qu'une étape supplémentaire dont l'acte ultime pourrait être une attaque nucléaire sur Tel-Aviv.
Cette thèse est soutenue, avec des nuances, par Pascal Boniface, Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques à Paris.
Comment qualifier l'actuelle situation sans tomber dans la sinistrose ?
Il importe d'abord de recourir à la réalité des chiffres :
* depuis 1980, il y a annuellement 200 à 600 actes terroristes,
* les victimes de ces actes vont de quelques centaines à plus de 3 000,
* dans cette perspective historique, une augmentation sensible se produit depuis 2004 : 650 incidents et 2 000 victimes. Mais cette statistique est directement liée à la situation en Irak.
Ce qui est nouveau et particulièrement inquiétant selon les spécialistes, c'est le nombre de conflits pouvant impliquer une arme nucléaire : Iran, Corée, conflit indo-pakistanais, conflit qui oppose la Chine à Taïwan.
Le second trait nouveau concerne la place de la religion dans les conflits.
Le troisième trait nouveau réside dans l'incapacité des super-puissances à ramener l'ordre. Bien davantage, toute tentative de remise en ordre suscite l'insurrection et nourrit une nouvelle étape de dégradation. C'est un nouvel état de guerre où celui qui gagne la première étape de guerre n'est pas capable pour autant de gagner la paix.
La France ne peut rester à l'écart de ce contexte. Les Français vont devoir dépasser les inquiétudes partielles pour définir une grille de lecture globale. Alors, l'état de crise sera peut-être reconnu. S'il est reconnu, s'ouvrira un nouveau paysage politique.
Car l'état de crise fait naître une aspiration à faire vivre la différence entre un homme politique et un homme d'Etat.
L'homme politique incarne des actions. L'homme d'Etat symbolise un engagement collectif. Les actions sont du ressort du quotidien. L'engagement collectif relève de l'idéal à terme. Il donnera un sens à des actions qu'on n'imagine peut-être pas encore.
L'enjeu n'est plus du même niveau. Ce changement frappe les candidats comme les citoyens.