Le profil de crise (02/02) (Edito 54)
Depuis quelques semaines, l'actualité internationale s'invite dans chacun des débats électoraux connus par des démocraties. Le premier pays, et probablement d'ailleurs le plus exposé, est les Etats-Unis avec les élections dites du mid term en novembre 2006. Dans le précédent numéro de notre lettre, nous avons examiné la première condition conduisant à la reconnaissance d'une situation de crise.
Trois autres composantes doivent être examinées dans ce contexte très particulier.
Le second critère réside dans le rapport entre les problèmes de politique intérieure et les dossiers relevant des "affaires étrangères".
Dés l'instant que les relations internationales occupent le devant de la scène pour des raisons diverses dont la préservation de la paix, c'est l'ensemble du débat politique qui en est modifié puisque resurgit le concept d'intérêt national. Ce concept est enraciné dans le rationalisme français. Il signifie que les divergences catégorielles doivent s'effacer devant l'intérêt supérieur de la nation. Tous les autres affrontements paraissent alors secondaires voire malsains. Ce climat redonne de la force à une approche centralisée, autoritaire voire élitiste du pouvoir qui fait appel aux repères historiques les plus caricaturaux.
Ce contexte fait naître une "autre façon de se présenter" au niveau des candidats. La maturité, l'expérience, la fermeté deviennent des qualités incontournables de la part d'un pays qui se cherche alors un "commandant en chef" et non plus un médiateur à l'écoute des problèmes des uns et des autres. Le candidat doit dégager une présence rayonnante qui rassure.
Le tempérament de l'intéressé trouve toute sa portée.
Enfin, parce qu'il doit devenir le symbole de la nation toute entière, le candidat doit évoluer progressivement vers un certain apolitisme.
Dans le paysage politique français actuel, six profils se dégagent dans de telles circonstances.
A droite, MM Chirac, Villepin et Sarkozy ont par leur cursus comme par leur image de marque le positionnement de "présidence impériale" qui peut être déconnectée du quotidien mais au fait des grands enjeux internationaux.
A gauche, seuls Lionel Jospin, Laurent Fabius et Bernard Kouchner peuvent bénéficier d'un "profil sécurisant" au sein d'un camp politique qui, depuis la disparition de F. Mitterrand, connaît un certain handicap de crédibilité dans un contexte de vraie crise internationale.
Le dernier point à observer, c'est que ce sentiment de crise résulte certes de la survenance d'évènements majeurs mais presque surtout du climat créé par les médias. Dans l'affolant tourbillon d'informations, les électeurs s'en remettent beaucoup à l'appréciation donnée par les médias. Les études conduites notamment aux Etats-Unis montrent que la prise de conscience en profondeur passe par le climat créé par les médias.
Arthur Miller disait qu'un "bon journal c'est une nation qui se parle à elle-même". C'est sur cette base que l'administration Bush a entouré d'une vigilance particulière les médias pendant la guerre d'Irak.
Tous ces éléments attestent que l'actuel climat est encore loin d ?un tel contexte même si des éléments alarmants existent manifestement en matière de tensions internationales. Ces éléments vont produire dans un premier temps une inflexion dans les thèmes abordés et conduire vers une place plus importante au contenu. L'Université d'été du PS est intervenue dans ce climat. Lionel Jospin, Laurent Fabius, Dominique Strauss Kahn ont été les heureux bénéficiaires de cette évolution.
L'examen attentif du contenu du discours de Nicolas Sarkozy et d'autres prétendants éventuels au sein de l'UMP constituera un indicateur intéressant du pari stratégique opéré sur l'émergence prochaine d'une attente de "profil de crise" acceptant de prendre du recul sur les défis de proximité pour apparaître comme le garant des intérêts supérieurs de la Nation?
Cette perspective amène une donnée nouvelle dans la campagne présidentielle. Une donnée d'autant plus complexe que son contenu dépend par définition de facteurs extérieurs.