Affaire Leonarda : François Hollande et le déficit de la cote de courage

Jean-Daniel Lévy répond aux questions de Délits d'Opinion
Interview de Jean-Daniel Lévy, Directeur du Département Politique-Opinion de Harris Interactive

Délits d'Opinion : François Hollande parvient-il à enrayer la chute observée depuis la rentrée ? Impôts, immigration, absence de leadership : quels sont les ferments de la colère ?

Jean-Daniel Lévy : Avec un score de 29% de confiance exprimée en sa faveur, François Hollande dispose effectivement de la même proportion de « soutiens » que lors du dernier mois. Il s'avère que cette enquête a, pour partie, été réalisée avant l'intervention du Président concernant « l'affaire Léonarda ». Le terme « colère » apparaît un peu trop net pour qualifier l'absence de confiance à l'égard du Président de la République. On ne relève pas le même niveau d'animosité qui pouvait être exprimé par les personnes qui déclaraient, au cours du mandat de Nicolas Sarkozy, ne pas faire confiance au Président de l'époque. Il s'agit au mieux d'une distance, au pire d'une désaffection. A l'inverse, les personnes indiquant faire confiance à François Hollande ne se placent pas en situation de soutien mais plutôt épris d'une forme de bienveillance à l'égard de la personne à laquelle, disent-ils, il faut laisser du temps.

Il est frappant, d'ailleurs, de voir au moment de l'enquête la faible mobilisation de « l'affaire Léonarda » en soutien ou en critique à l'égard de François Hollande. Celle-ci semble, pour les quelques personnes en parlant, illustrative de la politique de François Hollande : entre indécision et incohérence. Là se situe la principale difficulté de l'actuel Président.



Délits d'Opinion : Quels sont les enseignements de l'épisode Leonarda ? Les Français distinguent-ils une ligne Hollande d'une ligne Valls ?

Jean-Daniel Lévy : Les moments de tension mettent souvent en exergue, aux yeux des Français, ce que sont vraiment les responsables politiques. Plus de dix ans après « Human Bomb », Nicolas Sarkozy était avant même la campagne présidentielle de 2007 perçu comme une personne courageuse. François Hollande souffre structurellement de l'image d'une personne indécise. Et en ces moments où les Français attendent certes de l'autorité mais avant tout le respect de la norme, ceux-ci distinguent nettement deux attitudes différentes. 63% des Français se satisfont de celle adoptée lors de « l'affaire Leonarda » par l'actuel Ministre de l'Intérieur, 25% de celle portée par le Président de la République.



Délits d'Opinion : Manuel Valls peut-il durablement concilier les faveurs de l'électorat UMP et du PS ?

Jean-Daniel Lévy : Il s'agit de la question qui se pose depuis le début de la prise de fonction. Tout porte à croire que Manuel Valls bénéficie d'une confiance dans le cadre de ses fonctions reposant selon les familles politiques sur des motivations différentes et s'exprimant avec une intensité variable. Reste qu'il bénéficie de cette forme de ligne politique qu'il parvient à défendre et lui offre une cohérence aujourd'hui déniée au Président. Le recours au terme République permet de ne pas subir les foudres que les sympathisants de Gauche adressaient aux précédents ministres de l'Intérieur notamment Brice Hortefeux. L'incarnation de l'autorité attendue aujourd'hui en France traverse les différents « camps » politiques. Enfin, son style, direct et sans ambages traduisant une forme de responsabilité assumée, lui est aujourd'hui profitable. Alors même que, selon les lectures traditionnelles des structurations de l'opinion, Manuel Valls ne devrait pas obtenir la confiance de la part de la Gauche, ce n'est absolument pas ce qui se produit aujourd'hui. On a pu le voir en France, l'attente de norme (comment ça marche ?) est quasiment aussi importante que le résultat (est-ce que ça marche ?). Et Manuel Valls, pour les Français de Gauche comme de Droite, offre une réponse à la première question.



Délits d'Opinion : Pour Manuel Valls, surnager dans un gouvernement aux abois est-il une opportunité ou un piège ?

Jean-Daniel Lévy : Le Ministre de l'Intérieur ne donne pas, aux yeux des Français, le sentiment de surnager pas plus que le gouvernement d'être aux abois. Manuel Valls inspire confiance dans un contexte où la ligne politique portée par le gouvernement n'apparaît pas aisément appropriable aux personnes interrogées dans nos enquêtes. Pour répondre à cette question, il convient de mobiliser l'histoire. Ou, à tout le moins, la période politique récente. Les cas ne sont pas légions. Evidemment, l'exemple de Nicolas Sarkozy vient immédiatement à l'esprit. Et plaiderait en faveur de l'opportunité. A l'inverse, Dominique de Villepin, bénéficiant à la suite de son discours à l'ONU, d'une aura importante, n'aura pas pu faire fructifier après Matignon, un capital qu'il avait pourtant réussi à construire.

On peut enfin se rappeler, dans un autre registre, de Laurent Fabius militant en faveur du « non » au traité constitutionnel européen. En phase avec les Français mais également les électeurs de Gauche qui ont majoritairement voté contre le TCE. Mais qui n'en a pas tiré de bénéfice d'opinion. Il est ainsi, un peu plus d'un an plus tard, arrivé troisième de la primaire interne au Parti Socialiste.
Il est souvent question de compétence, de cohérence et de sincérité. C'est ce qui plait aujourd'hui aux Français soutenant Manuel Valls. C'est probablement autour de ces dimensions qu'il sera jugé au cours des mois à venir. Au moins tant qu'il sera question « d'opinion ». Le comportement électoral répond à d'autres logiques. Nous en sommes encore loin.


Méthodologie : enquête réalisée en ligne du 18 au 21 octobre 2013. Echantillon de 1 414 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l'access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l'interviewé(e).

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  • Publié le 23 octobre 2013

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