Manuel Valls et la "seconde jeunesse" difficile
Baromètre de confiance dans l'exécutif Harris Interactive / Délits d'Opinion : Jean-Daniel Lévy répond aux questions de Délits d'Opinion
Interview de Jean-Daniel Lévy, Directeur du Département Politique-Opinion de Harris Interactive
Délits d'Opinion : Peut-on dire que Manuel Valls bénéficie d'un état de grâce ? Quels sont les fondements de sa popularité ?
Jean-Daniel Lévy : Oui et non. Oui, si l'on prend comme référence la dernière mesure concernant Jean-Marc Ayrault. Alors, les 20% de Français accordant leur confiance à l'ancien Premier ministre deviennent 46%. L'évolution est notable auprès de toutes les catégories de population : que ce soit les personnes issues des catégories supérieures (47% contre 23% pour son prédécesseur) ou les personnes issues des catégories populaires (46% contre 19%). En matière de générations, les évolutions sont également significatives au sein de toutes les tranches d'âges. Politiquement, de nettes évolutions sont à relever que ce soit auprès des sympathisants socialistes (82% contre 58%), qu'auprès des sympathisants UMP voire même FN (plus de 20 points de progression parmi ces deux familles politiques). Sont aujourd'hui imperméables à ce mouvement les sympathisants du Front de Gauche parmi lesquels la proportion de personnes accordant leur confiance au Premier ministre est quasi-stable (37%).
Non, si l'on ne prend pas comme référence la dernière mesure concernant Jean-Marc Ayrault mais... la première. Et l'on ne peut alors pas parler d'état de grâce. Rappelons que la confiance dans le prédécesseur de Manuel Valls s'élevait en mai 2012 à 60% contre 46% pour l'actuel Premier ministre. Rappelons qu'à Gauche, sympathisants socialistes (98%) et du Front de Gauche (94%) étaient alors plus en soutien. Il n'est pas une catégorie politique ou sociale qui fait plus confiance à l'actuel Premier ministre qu'à l'ancien lors de sa prise de fonction.
Nous avions été frappés, lors de la première vague d'enquête menée après l'élection de François Hollande, que l'image positive de Jean-Marc Ayrault était essentiellement marquée par le caractère personnel et non véritablement politique. Et que le calme qu'il inspirait - renforcé par sa gestion saluée par la presse de la ville de Nantes - surpassait comme traits d'image le responsable politique et notamment l'ancien président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale.
S'il n'y avait eu des enquêtes préalables, nous aurions pu être surpris de la même manière concernant les jugements émis à l'égard de Manuel Valls. Il est bien plus question de posture que de fond politique. Manuel Valls est crédité de « dynamisme », de « volonté », « d'autorité », « d'énergie »..., et lorsque, positivement, son approche politique est mobilisée, celle-ci est souvent accompagnée d'un qualificatif à caractère personnel : « C'est un homme de poigne, je compte sur lui pour ne pas appliquer bêtement une politique qui mène la France droit dans le mur » « Fiable, énergique. Ne se laisse pas impressionner. Va de l'avant en politique. Charisme correspondant parfaitement à sa fonction ». A l'inverse, les critiques se focalisent essentiellement sur le fond politique (6% des personnes critiques le considérant comme trop à Droite) et sur le fait qu'il ne s'affranchirait pas suffisamment de celle proposée par le Président de la République : « Il applique la politique du chef de l'État », « Je lui ferais confiance si la ligne politique n'était pas imposée par le chef 'normal'... »
Délits d'Opinion : Constate-t-on une prime au remaniement pour les ministres renouvelés ? Comment expliquez-vous cette seconde jeunesse ?
Jean-Daniel Lévy : Lorsque nous procédons au travail un peu artificiel visant à établir la moyenne de la confiance dans les ministres, on constate effectivement une évolution. La confiance moyenne s'établissait à 29% avant le remaniement, 32% aujourd'hui. Observons trois points essentiels. Le premier : la hiérarchie de la confiance dans les ministres n'est pas bousculée. Le deuxième, les fonctions régaliennes restent privilégiées, notamment celles relatives à la place de la France au niveau international : ainsi Laurent Fabius voit la confiance exprimée à son égard progresser de 11 points (52%) et Jean-Yves Le Drian de 5 points (44%). Relevons enfin l'arrivée de Ségolène Royal en troisième position (42%), la forte progression de l'ancienne et de l'actuel porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem et Stéphane Le Foll (respectivement +7 et +6 points). La question principale touchant collectivement les ministres portait, avant le remaniement, notamment sur leur capacité à travailler ensemble et pas uniquement sur leur politique propre. Ceux-ci bénéficient donc en partie du sursaut de confiance qu'inspire l'arrivée de Manuel Valls.
Délits d'Opinion : Le Président semble être le seul à ne pas bénéficier de ce remaniement à 24% (-1 point) dans cette vague. Pourquoi n'est-il pas gratifié du bénéfice de changements qu'il a impulsés ?
Jean-Daniel Lévy : Visiblement pour deux raisons principales : la première, il ne donne pas vraiment le sentiment aux Français d'avoir « impulsé » les changements, mais plus de les avoir vécus sous la pression conjointe de l'opinion et de sa majorité à l'issue des élections municipales. Seuls 3% des Français accordant leur confiance au Président citent comme motif... l'arrivée de Manuel Valls.
La seconde, l'incapacité à pouvoir tenir ses promesses. 10% des personnes critiques mobilisent cet argument. Sans que la critique ne soit, sur ce point, nettement plus précise ou concentrée sur un aspect particulier.
Délits d'Opinion : Pour la première fois, le baromètre Harris Interactive / Délits d'Opinon mesure la popularité de leaders politiques extérieurs au Gouvernement. A l'aune de cette vague, quelles sont les figures de droite à la fois incontournables dans leur camp et à même de fédérer plus largement ?
Jean-Daniel Lévy : Déjà, remarquons qu'arrivent en « tête de classement » 4 personnalités de Droite et du centre : Alain Juppé (54%), François Bayrou (41%), Nicolas Sarkozy (39%) et François Fillon (38%). Si celles-ci sont à un niveau élevé de confiance pour « faire des propositions qui vont dans le bon sens », c'est parce qu'elles bénéficient non seulement d'une bonne crédibilité au sein de leur camp politique mais également, surtout pour Alain Juppé et François Bayrou, parce qu'ils parviennent à susciter un intérêt parmi près d'un sympathisant socialiste sur deux. Nicolas Sarkozy parvient à recueillir une quasi unanimité de jugement chez les Français se déclarant proches de l'UMP (92%), son acuité politique est ensuite plus reconnue par les sympathisants du Front National (53%) que socialistes (6%). A ce titre, remarquons qu'une faible part des Français accordant leur soutien à François Hollande parle - comme un repoussoir - de l'ancien Président.
Hormis les personnalités citées précédemment, remarquons que Nathalie Koscuisko-Morizet occasionne l'intérêt de 63% des sympathisants UMP (la bataille de Paris lui ayant visiblement été plutôt favorable), 53% pour Xavier Bertrand, 48% Laurent Wauquiez, 46% Jean-François Copé et 40% Bruno Lemaire. Aucune de ces personnalités ne « mord » véritablement sur l'électorat de Gauche. Un peu au FN (entre 8 et 26%). N'oublions pas cependant, qu'on ne peut considérer un effet mécanique entre opinion et vote.
Méthodologie : enquête réalisée en ligne du 22 au 23 avril 2014. Echantillon de 999 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, à partir de l'access panel Harris Interactive. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l'interviewé(e).