La France et la fin de "la religion de la sortie de la religion" ?
Par une sorte de prophétie qui nous apparaît désormais chaque jour de plus en plus manifeste, André Malraux avait prédit «le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas».
En réalité, le début du XXI ème siècle est marqué par un choc quasi-frontal désormais entre deux phénomènes totalement opposés.
D’un côté les religions catholique, protestante, judaïque qui non seulement ne cherchent plus à «évangéliser» mais qui surtout se sont accoutumées aux réfutations comme aux effets progressifs de la laïcisation de nos Etats.
D’un autre côté, l’islam qui maintient un sens du sacré sans contrepoids.
La carte religieuse de la planète connaît désormais des forces principales aux comportements quasi-antinomiques.
Pour s’en tenir au catholicisme et à la France, en 1790, à la demande du religieux, Dom Gerle, fut discutée la question de reconnaître le catholicisme comme religion d’Etat.
Cette possibilité de reconnaissance fut repoussée.
Cette date constitue une étape importante de la laïcisation de notre Etat.
La laïcisation, c’est la construction sur plusieurs siècles d’un Etat laïque parce qu’il renvoie à la marge ou au privé des traditions religieuses qu’il juge perturbatoires dans l’espace public qui doit être neutre.
Cet espace public est neutre parce qu’il traite à égalité les diverses traditions morales , philosophiques, religieuses qui constituent et qui inspirent la société dans sa diversité.
Cet Etat laïque est accueillant puisqu’il traite chacun à égalité.
Il est fécond puisqu’il admet que les références religieuses participent à l’héritage collectif au même titre que des valeurs philosophiques morales.
Cet Etat laïque s’est construit sur «la religion de la sortie de la religion».
Ce n’est pas parce que l’espace public n’est pas occupé par une religion particulière qu’il est un espace vide.
L’espace public est alors un espace de pluralisme. Ce pluralisme est conçu comme une richesse et comme une barrière contre des affrontements d’un autre temps.
Cet acquis doit être rappelé avec force.
Il est souvent de mode de dire que les dernières générations n’auraient laissé aucun héritage significatif. Quel paradoxe pour des générations qui auraient laissé d’autant moins qu’elles ont beaucoup produit. Ces générations de l’abondance seraient ainsi des générations de l’éphémère.
Dans de nombreux domaines, cette approche est fausse et injuste.
Nous devons cesser de dénigrer en permanence certaines parties de notre héritage collectif. La construction de notre Etat laïque est une construction délicate qui a supposé des évolutions considérables et qui constitue une réelle réussite.
Chaque religion a compté ses «battants de la foi».
Chaque religion a compté ses intransigeants.
La condition humaine a besoin de spiritualité.
Ce volet modifie fondamentalement le sens du destin de l’homme. Il y a dans l’existence terrestre un aspect angoissant que rien ne parvient à justifier.
La spiritualité justifie l’injustifiable. Elle transforme l’immanence de certains phénomènes en aspiration transcendante.
Il est certain que cette spiritualité procure une formidable énergie morale.
Mais cette énergie doit porter une philosophie de la liberté, de la tolérance et du respect d’autrui.
Si les actuels drames annoncent la fin de la "religion de la sortie de la religion", ce sont des épreuves très lourdes qui s'annoncent pour la vie publique française.