#CharlieHebdo : le temps des questions de fond
Après le temps légitime et naturel de la profonde émotion viendra le temps des questions de fond. Dans ce cadre, 4 domaines vont mériter une attention particulière.
1) L'Etat de droit : la coutume est d'indiquer que la crise c'est souvent d'abord la crise de l'Etat de droit. Au sein d'un dispositif très complet et remarquablement équilibré progressivement élaboré en France va naître une question : la dangerosité peut-elle remplacer le passage à l'acte ? C'est une question d'une extrême importance. Tout l'édifice juridique français repose sur le passage à l'acte. Reconnaître un espace nouveau à la seule notion de dangerosité serait une évolution (passagère ?) marquant un tournant majeur.
2) L'interrogation sur certaines Institutions : c'est le cas plus particulièrement de l'Ecole et de la Prison. De nombreux témoignages d'enseignants font état de "réactions" lors de "minutes de silence" dans de telles circonstances. Quelles suites sont données à ces marqueurs importants et semble-t-il considérablement répandus ?
Il en est de même de la Prison. Comment une Institution peut-elle rendre à la société un individu encore plus redoutable que dans ses conditions d'entrée ? L'état matériel des prisons, les fonctions exercées à l'intérieur, les moyens humains doivent être considérablement révisés après des alertes multiples, anciennes et récurrentes en la matière.
3) La clarté dans certaines relations internationales : des implications d'Etats doivent être clarifiées et la communauté internationale doit probablement veiller à sortir de certaines "facilités" d'acceptations de comportements "multiples".
4) La notion même de "liberté d'expression" : en réalité, beaucoup d'Etats dont les Etats-Unis ont un cadre juridique classique beaucoup plus tolérant en faveur de la liberté d'expression que le cadre juridique français où la liberté d'expression demeure très "encadrée" notamment par les protections "d'injures" ou de "diffamations".
Mais il y a une spécificité en France qui est le "droit à la dérision". Derrière cette notion, c'est presque davantage la valeur d'égalité que celle de liberté qui est le socle. L'idée est que même ce qu'il y a de plus puissant, a priori "intouchable", peut faire l'objet de "dérision". La "dérision" est alors tellement forte qu'elle échappe aux frontières classiques de l'injure ou de la diffamation. C'était le "coeur de métier de Charlie Hebdo". C'est d'ailleurs un "coeur de métier" qui a été peu suivi ailleurs dans des circonstances comparables. Hier aux Etats-Unis, des supports journalistiques importants ont publié des ex-unes de Charlie Hebdo mais floutées. C'est un choix qui mérite l'examen et la réflexion.
Dans les prochaines semaines, si les pouvoirs publics et l'opinion veulent tirer toutes les conséquences des drames de ces derniers jours, ils devront se positionner sur ces questions de fond.
Et parfois, notamment sur la frontière entre la dangerosité et le passage à l'acte, probablement faire preuve de beaucoup de pédagogie pour défendre des approches juridiques nuancées qui, dans le temps, ont été des avancées pour les libertés individuelles.