Ségolène Royal et la nouvelle gauche 10 ans trop tôt
C'est impressionnant de constater combien Ségolène Royal en 2006 a pu poser les jalons de l'actuelle gauche : la notion de l'ordre juste, le retour de l'autorité et jusqu'à la place du drapeau national.
Dimanche 9 juillet 2006, c'est probablement la dernière date où le drapeau français a battu ses records d’exposition. La dernière date avant celle de demain vendredi 27 novembre 2015. En 2006, le drapeau était partout : ici à la fenêtre d’une maison, là au cœur du jardin et encore plus souvent à la portière d’une automobile. En début de soirée, la France allait rencontrer l’Italie en finale de la coupe du monde de football et le drapeau tricolore devenait un vrai symbole de fierté nationale.
C’est une situation rare. Elle s’explique alors par le fait que cet évènement a réuni de façon involontaire tous les facteurs de nature à susciter une réelle fierté nationale française.
Dans l’univers symbolique français, le drapeau est considérablement moins exposé que par exemple aux Etats-Unis. Les spécialistes évoquent des explications rationnelles. En France, le drapeau bleu-blanc-rouge est certes le symbole de l’appartenance à la nation française mais il est aussi porteur d’autres valeurs. Il ne veut pas seulement dire France. Il veut dire France Républicaine. Dans l’Histoire, le drapeau bleu-blanc-rouge s’est opposé au drapeau blanc des royalistes comme au drapeau rouge des communistes. Quand en 1968, la contre manifestation fut organisée, la forêt de drapeaux tricolores était supposée incarner la « résistance » face aux drapeaux rouges des barricades.
En juillet 2006, le drapeau a fait réellement l’objet d’une réappropriation collective à l’occasion d’un sport qui permet de concilier le collectif et l’individuel. Les Français vouent une admiration particulière à l’exploit solitaire. Le sommet est atteint par la performance extraordinairement dangereuse accomplie avec une apparente facilité comme la traversée de l’atlantique en rameur ou une course solitaire à la voile sans escale. Dans de nombreux autres pays, ces exploits ne passionnent pas l’opinion publique qui ne voit pas l’intérêt du défi et pire encore considère que l’auteur a une mentalité très décalée pour ne pas dire « folle ».
Cette particularité française serait l’héritage de la culture aristocratique militaire qui reconnaissait comme héroïsme le sang froid et l’audace dans les situations les plus périlleuses.
L’équipe de France de football en 2006 constituait un mélange idéal de collectif et d’exploits individuels (Zidane, Henry…) pour correspondre aux symboles classiques de mobilisation.
Cette fierté nationale a également pris corps sur des bases qui correspondent aux rapports typiquement français en matière d’amitié et de rapport à l’extérieur.
L’amitié « à la française » se veut indestructible. Elle doit pouvoir traverser n’importe quel obstacle sinon selon la formule consacrée « on n’est pas amis ». Dans de très nombreux autres pays, ce caractère « indestructible » est loin d’être aussi affirmé. L’opinion publique française a vu au fil des matchs se constituer une solidarité de groupe qui correspond exactement à ses symboles classiques.
Même correspondance dans cette unité du groupe qui s’est «officialisée» contre l’Espagne, premier match représentant la première vraie menace. L’unité française se construit dans la défense, dans la résistance. Là aussi c’est probablement l’héritage culturel de notre Histoire où l’unité constituait l’arme ultime de la défense du pays face à la menace militaire étrangère.
Depuis cette époque, les appels à l’unité n’interviennent en France que pour défendre une valeur supposée agressée : défendre la république, la jeunesse, les droits des travailleurs ou pour la droite, défendre l’ordre public, les libertés, la nation…
La multiplication des drapeaux tricolores le 9 juillet 2006 répondait à une situation rassemblant tous les symboles de l’univers collectif français.
Un grand sport populaire peut-il être le seul à susciter une telle fierté nationale dés l’instant qu’il respecte cet univers symbolique fort dont l’amitié soudant le groupe, le sentiment de menace contre laquelle la résistance doit s’organiser…?
La réponse n’est pas nécessairement oui. Le vrai enjeu semble résider plus que par l’objet dans les circonstances : amitié, menace, exploit.
Ces trois volets sont les étapes préalables incontournables. Dans la foulée de cette exposition exceptionnelle, Ségolène Royal avait reconnu une place particulière au drapeau national y compris dans ses réunions publiques d'alors.
Revivre le contenu de ces réunions de 2006 comme leur visuel anticipe d'une façon étonnante l'actuelle conversion du PS français. Finalement Ségolène Royal a eu raison trop tôt sur les conversions incontournables du socialisme français pour le faire entrer dans la modernité.