Robert Kennedy et la violence de la société américaine
Les regards actuels qui fourmillent en France sur la violence de la vie politique américaine oublient trop rapidement que la violence est inhérente de longue date à la vie politique américaine et de façon bien plus générale à la société américaine dans son ensemble.
Tout est violent dans la politique américaine. Les primaires qui ne respectent pas la place de l'élu sortant. Le contenu des campagnes avec l'analyse chirurgicale appliquée à toutes les facettes de la vie des candidats dont la vie privée. Le déroulement des campagnes électorales avec des distances géographiques considérables à surmonter.
C'est un pays où, même dans la seconde moitié du XX ème siècle, il était possible d'être assassiné comme JFK ou Robert Kennedy. Ce qui a manqué pendant les "années Trump", c'est un rappel du cycle infernal de la violence qui s'alimente pour franchir des étages toujours plus élevés.
Il a manqué une voix comme celle de Robert Kennedy lors de sa campagne de 1968. C'est dommage et c'est tard après le séisme du Capitole.
DISCOURS CONTRE LA VIOLENCE DU SÉNATEUR ROBERT FRANCIS KENNEDY LE 5 AVRIL 1968, LENDEMAIN DE L’ASSASSINAT DE MARTIN LUTHER-KING
« Aujourd’hui est un temps de honte et de chagrin. Ce n’est pas un jour pour la politique. Je saisis cette opportunité, mon seul événement aujourd’hui, afin de vous parler de la menace irrréfléchie de la violence en Amérique qui a nouveau entaché notre pays et à nouveau chacune de nos vies.
Ce n’est pas une question de race. Les victimes de la violence sont noires et blanches, riches et pauvres, jeunes et vieux, célèbres et inconnues. Elles sont, avant tout, des êtres humains que d’autres êtres humains aiment et dont ils ont besoin. Personne – peu importe où il vit ou ce qu’il fait – ne peut savoir avec assurance qui souffrira de ces carnages irréfléchis. Et pourtant cela ne cesse pas dans ce pays qui est le nôtre.
Pourquoi ? La violence, qu’a-t-elle accompli ? Qu’a-t-elle créé ? Aucune cause de martyre n’a jamais été immobilisée par la balle d’un assassin. Aucun méfait n’a jamais été réglé par une émeute et le désordre civil. Un sniper n’est qu’un lâche, pas un héros ; et une foule non-contrôlée et incontrôlable n’est que la voix de la folie, pas celle de la raison.
A chaque fois que la vie d’un Américain est prise par un autre Américain sans nécessité – que cela soit accompli au nom de la loi ou en défiant la loi, par un homme ou par un gang, de sang froid ou sous le coup de la passion, dans une violente attaque ou en réponse à la violence – à chaque fois que nous déchirons ce tissu qu’est la vie qu’un autre homme a difficilement, et du mieux qu’il peut, cousu pour lui et ses enfants, c’est la nation toute entière qui est abîmée.
« Entre hommes libres », a dit Abraham Lincoln, « les armes ne pourront jamais remplacer le suffrage ; et ceux qui préfèrent employer les armes sont sûrs de perdre leur cause et d’en payer le prix. »
Mais apparemment nous tolérons un niveau ascendant de violence qui ignore notre humanité commune et nos prétentions à une civilisation uniforme. Nous acceptons avec calme les reportages des journaux sur des massacres de civils dans des pays lointains. Nous glorifions les meurtres sur les écrans de cinéma et de télévision et nous appelons ça du divertissement. Nous facilitons l’acquisition d’armes et de munitions par des hommes, quelle que soit leur santé mentale.
Trop souvent nous honorons les parades et les éclats et les exercices de force ; trop souvent nous excusons ceux qui ont la volonté de construire leurs propres vies sur les rêves anéantis des autres. Certains Américains prêchent la non-violence à l’étranger, mais oublient de la pratiquer ici, chez eux.
Certains accusent les autres de déclencher des émeutes, mais ce sont eux qui les ont incitées par leur propre conduite. Certains cherchent des boucs-émissaires, d’autres cherchent des conspirateurs, mais tout ceci est clair : la violence engendre la violence, la répression amène les représailles, et seule la purification de toute notre société peut ôter cette maladie de notre âme.
Parce qu’il y a un autre genre de violence, plus lente mais tout aussi destructrice qu’un coup de feu ou qu’une bombe dans la nuit. C’est la violence des institutions ; l’indifférence, la passivité, le déclin. C’est la violence qui est infligée aux pauvres, qui empoisonne les relations entre les hommes parce que leur peau a une couleur différente. C’est la lente destruction d’un enfant par la faim, ce sont des écoles sans livres et des maisons sans chaleur en hiver.
C’est briser l’esprit d’un homme en lui niant la chance d’être un père et un homme parmi d’autres hommes. Et ceci aussi nous touche tous.
Je ne suis pas là pour proposer un ensemble de remèdes spécifiques et il n’y a pas de programme clés en mains. Comme plan adéquat, nous savons ce qui doit être fait.
Lorsque vous enseignez à un homme à haïr son prochain et à avoir peur de lui, lorsque vous lui apprenez qu’il est un sous-homme à cause de sa couleur de peau ou de ses croyances ou de la politique qu’il défend, lorsque vous lui apprenez que ceux qui sont différents de vous menacent votre liberté ou votre travail ou votre maison ou votre famille, alors vous lui enseignez aussi à considérer les autres non comme des concitoyens mais comme des ennemis, avec lesquels il ne s’agit pas de coopérer mais de les dominer afin qu’ils soient vassalisés et entièrement sous contrôle. Nous apprenons, finalement, à regarder nos frères comme des étrangers, des hommes avec lesquels nous partageons une ville, mais pas une communauté ; des hommes liés à nous par une résidence commune, mais pas par une volonté commune. Nous apprenons uniquement à partager une peur commune, un commun désir de se replier loin l’un de l’autre, uniquement une pulsion commune de faire face aux désaccords en employant la force.
Pour tout ça, il n’y a pas de réponses finales. Mais nous savons ce que nous devons faire. Il faut parvenir à une vraie justice entre nos concitoyens. La question n’est pas quels programmes nous devons chercher à appliquer. La question est pouvons-nous trouver en nous-mêmes, en notre propre coeur, cet engagement humaniste qui reconnaîtra les terribles vérités de notre existence ?
Nous devons admettre la vanité de nos fausses distinctions entre les hommes et apprendre à avancer nous-mêmes dans la quête de l’avancement des autres. Nous devons admettre dans notre fort intérieur que le futur de nos propres enfants ne peut être bâti sur le malheur des autres. Nous devons reconnaître que cette courte vie ne peut être ni anoblie ni enrichie par la haine ou par la vengeance.
Nos vies sur cette terre sont trop courtes et le travail à accomplir est trop grand pour laisser cet esprit encore se propager sur notre terre. Bien sûr nous ne pouvons pas le vaincre avec un programme, ni avec une résolution. Mais nous pouvons peut-être nous souvenir, même si ce n’est que pour un instant, que ceux qui vivent avec nous sont nos frères, qu’ils partagent avec nous ces mêmes courts instants de vie ; qu’ils ne cherchent, tout comme nous, rien d’autre que l’opportunité de vivre leurs vies avec résolution et bonheur, en obtenant ce qu’ils peuvent de satisfaction et d’accomplissement.
Assurément, ce lien résultant de notre foi commune, ce lien résultant de notre but commun, peut commencer à nous apprendre quelque chose. Assurément, nous pouvons apprendre, au moins, à regarder ceux qui nous entourent comme des compagnons humains, et assurément nous pouvons commencer à travailler un peu plus dur à panser les plaies parmi nous et à redevenir dans nos propres cœurs des frères et des concitoyens".