L'agglomération grenobloise et ses réalités modernes

Existe-t-il encore une identité de l’agglomération grenobloise et si oui laquelle ? C’est un sujet ouvert de longue date : l’existence d’une personnalité géographique. Dans les années 90, un géographe, Armand Frémont (bien connu à Grenoble pour avoir exercé la fonction de Recteur) a été l’auteur de nombreuses publications sur le thème des “espaces vécus”. Historiquement, l’identité de l’agglomération grenobloise était forte. En effet, pendant de nombreuses décennies, les récits de Grenoble et de son agglomération étaient ponctués d’évènements tellement forts que l’agglomération grenobloise échappait au choc des seules comparaisons démographiques. Grenoble échappait à sa dimension. Ses universités rayonnaient. L’héritage de la houille blanche inspirait encore de nombreuses entreprises florissantes.

Belledonne

Le passé de l’Exposition Universelle trouvait un rebond avec l’accueil du Synchrotron. Bref, une Histoire était née. Certes, dès 1979, avec le livre de Pierre Frappat (« le mythe blessé « ), l’élan semblait parfois à la recherche d’un nouveau souffle. Mais la « petite ville de province » n’était pas encore rentrée dans le rang. Les frères Vicat travaillaient le ciment avec une réussite internationale. La famille Raymond diversifiait le bouton-pression. Serge Crasnianski ouvrait comme une start-up bondissante “l’industrie de la minute” tandis que Laurent Boix-Vives plaçait Rossignol sur les plus belles marches des podiums internationaux des sports de montagne. Henri Ducret imaginait les temps forts du tourisme rhône-alpin. Haroun Tazieff, vulcanologue mondialement réputé, choisissait l’Isère pour concevoir de nouveaux dispositifs de protection contre les risques naturels. Et la liste pourrait durer longtemps. L’agglomération grenobloise restait celle de l’avenir en avance, l’agglo de la fluidité entre ses territoires.

Historiquement, le tremplin des valeurs de Grenoble et de l’agglomération était composé de trois socles : innovations / sciences / sports. La campagne d’Eric Piolle en 2014 conçue par un plan marketing d’Erwan Lecoeur s’était située dans cette logique. Mais près de 8 ans après, quels résultats ? En matière d’innovations, le score est faible. Qu’est-ce qui se fait dans l’agglomération grenobloise qui ne se fait pas ailleurs ? En matière de sciences, la “ville des ingénieurs” a inventé quoi tout dernièrement ? En matière de sports, qui peut citer les noms des dignes successeurs de Lionel Terray, Pierre Beghin, Jean Claude Killy, Jeannie Longo, Bruno Saby, René Arnoux … ? En principe, une agglomération se construit autour de sa ville — centre. Ici, c’est l’opposition entre la ville — centre et l’agglomération, la première ne parvenant même pas à gagner la présidence de la seconde. Les innovations sont à chercher ailleurs en matière municipale.

A Brié et Angonnes, les animations font le plein avec des thèmes originaux.

A Pont de Claix, la science a obtenu son Musée. A Corenc, l’initiative pour les projets jeunes trouve un cadre très positif.

Avec le Maire de St Ismier à la tête du Grésivaudan, ce territoire semble “bénir les dieux” chaque jour de ne pas avoir été fondu dans la Métro. A Claix, Christophe Revil relance le spectacle vivant…. et la liste pourrait durer longtemps.

Aujourd’hui, les innovations se font en dehors de la ville — centre et en dehors des politiques publiques décidées par la Métro.

Que traduit cette réalité ? L’agglomération grenobloise est devenue la caricature de communautés locales qui vivent de moins en moins ensemble.

C’est le choc entre les aigles, les dauphins, les abeilles, les libellules et les renards, chacun d’entre eux vivant sur des territoires de plus en plus séparés.

Grenoble, la ville — centre, a ses « aigles » : des élus et militants écologistes persuadés de leur domination culturelle au point d’être inventeurs d’une novlangue parfois difficilement compréhensible, qui voient le reste de l’agglomération avec le regard déformant des qualificatifs peu amènes dès qu’il s’agit de comportements qui s’éloignent de leurs repères idéologiques. Les péri-urbains ont ainsi « gagné » le qualificatif de « bagnolards ». L’opposition y est caricaturée sous le label « d’ancien régime ». Et la liste de la novlangue locale pourrait durer longtemps. Ici, la sociologie est celle du cadre qui vit dans Grenoble, se déplaçant en transports collectifs, à vélo ou mieux désormais à trottinette. Il est jeune, d’un cadre vestimentaire cool avec comme marqueur de groupe actuellement les baskets blanches.

La première couronne est composée des « dauphins » : l’animal de la régénérescence. Cette banlieue (Echirolles, St Martin d’Hères, Fontaine …) cherche toujours à faire oublier sa réputation. Hier, la violence lui était réservée. Hier, sortir de ces villes, c’était le sentiment assuré de sécurité. Aujourd’hui, cette première couronne partage cet « ex-privilège » avec tous les territoires de l’agglo sans exception et elle peut donc tenter une régénérescence ayant perdu ce trait distinctif. Ici, c’est un électorat populaire qui, souvent par ses votes, pense et agit encore avec une logique de classes sociales.

La seconde couronne (Brié et Angonnes, Jarrie, Claix, Vif, Varces, Seyssinet …) ou le réel péri-urbain qui est composé des “abeilles”. Il s’agit souvent de commerçants, d’artisans, de gérants de PME et TPE qui veulent vivre dans un cadre plus rural dominé par l’habitat pavillonnaire. Les écologistes de Grenoble détestent cette mentalité qui dévore les espaces et qui récuse les grands ensembles du collectif. C’est une coupure sociologique nouvelle majeure. Une détestation renforcée par l’usage obligé de l’automobile pour rejoindre les lieux de travail. La ville — centre n’est plus un lieu d’accueil pour eux. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux s’organisent méthodiquement pour éviter cette ville — centre qui leur apparait si inhospitalière. Ce secteur a des travailleurs. Il suffit de constater les flux de véhicules avec une sur-représentation de camionnettes d’artisans vers 06 heures 30 chaque matin sur l’A 480.

Enfin le Bas Grésivaudan a ses « libellules » et ses “renards”. Le Bas Grésivaudan (Meylan, Corenc, La Tronche …) a longtemps été la géographie de la bourgeoisie locale, les “vieilles familles”. Pour elles, l’apparence compte beaucoup. Une apparence qui peut d’ailleurs beaucoup changer selon les circonstances d’où la référence aux libellules. Souvent, ces “libellules” ont maintenant le souffle court car les années ont altéré la superbe d’antan. Heureusement, il reste des “renards” pour chercher l’identification affinitaire auprès d’une géographie qui localement devrait avoir par le prix de son foncier la reconnaissance d’une réussite matérielle.

Ce sont désormais 4 cultures totalement différentes. Avec des sociologies très différenciées. C’est pourquoi, probablement pour la première fois à ce point, l’agglomération est désormais une construction administrative de papier et non plus un bassin de vie en commun. Un fait nouveau inédit.

Denis Bonzy
Ancien Président de l’AURG (Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise)

NB : article paru dans le réseau Medium

  • Publié le 29 octobre 2021

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