Scott Brown et le quotidien difficile d'un candidat au Sénat américain
Début 2010, Scott brown a gagné la "circonscription" de Ted Kennedy à la surprise générale. Il annonçait la vague républicaine de novembre 2010 après avoir mené une campagne remarquable de terrain.
Mais dès novembre 2012, il doit reconvaincre les électeurs et le combat s'avère particulièrement difficile contre Elisabeth Warren.
Des campagnes souvent éclipsées par la présidentielle lors de la concordance des scrutins.
La sénatoriale est une campagne de très haut niveau amenant les candidats à une exposition très professionnelle.
L'organisation type est la suivante en jouant essentiellement sur les symboles pour frapper l'opinion à la différence des campagnes françaises.
John a 50 ans. Il a réussi son parcours professionnel et est aujourd’hui un associé influent d’un cabinet d’avocats. Sa décision est prise. Il sera candidat aux prochaines élections sénatoriales.
Sa première décision consiste à installer son équipe de campagne. Il recrute un directeur de campagne qui est d’abord un professionnel du management. John a constitué un premier fonds électoral grâce à ses propres économies et à celles d’amis ou de connaissances. Ce directeur aura ainsi officiellement la même rémunération que celle qu’il avait jusqu’alors dans le privé. Ensemble, ils vont sélectionner leur cabinet conseil extérieur avec qui ils définiront la stratégie de campagne et examinerons à la loupe les résultats des enquêtes téléphoniques.
1ère étape : gagner la primaire au sein du parti. A cette fin, il faut progresser rapidement en notoriété et en bonne image de marque. La répartition des tâches est maintenant claire et simple. Tout ce qui est organisation (dossiers techniques, argumentaires détaillés, interventions…) relève de son équipe de campagne. Le candidat n’a que deux soucis : porter efficacement les messages clefs de sa campagne et rencontrer le maximum d’électeurs potentiels ou de donateurs financiers.
Dans son local de campagne aux espaces sommairement cloisonnés, dés 7 heures 30 John rassemble ses plus proches collaborateurs. Au programme, 4 arbitrages majeurs :
1) les apparitions publiques du jour où John rencontrera la presse. Ils se mettent d’accord sur la formule qui synthétisera le message cas par cas. Ils décident de la tenue vestimentaire de John : cravate ou pas, couleurs dominantes, personnes qui l’accompagnent de façon proche.
2) Les apparitions publiques où John va à la rencontre des électeurs. Il n’est pas question de convier les électeurs à le rencontrer dans un lieu spécifique. La démarche consiste à identifier les endroits où sont les électeurs (entrées d’entreprises, places publiques très fréquentées…) pour que John aille à leur rencontre. La encore, un moment important est consacré au choix de la tenue vestimentaire. Sont désignés les militants qui porteront à ses côtés les pancartes indiquant son nom et son slogan de campagne en grosses lettres bien visibles.
3) Dans l’après-midi, c’est le temps des photos et du tournage d’un vidéo clip à thème. John doit valider le scénario et arbitrer les images fortes de cet outil de propagande.
4) Enfin, le soir, il y a une rencontre avec des donateurs financiers. Aujourd’hui, il réunit ses anciens camarades de promotion de son Ecole. Une façon de leur montrer que sa réussite politique serait aussi la leur. Il va consacrer beaucoup de temps à se rappeler des anecdotes qui rendront l’ambiance plus chaleureuse et personnelle. Il tente de se souvenir des blagues les plus courantes de l’époque.
09 h. 30 : John se rend à la conférence de presse organisée par la mairie pour célébrer la dépollution d’une rivière qui traverse un quartier excentré de la ville. Il y croise des concurrents. Comme décidé le matin, sa formule est simple. « Si le nécessaire a été fait , il propose à ses concurrents de faire la traversée à la nage. Quand il aura obtenu leur accord, il sera sûr alors de la dépollution ». Il ne reste pas longtemps car il est hors de question qu’il banalise sa présence en se fondant durablement dans l’assistance. Une fois sa déclaration faite, il repart immédiatement.
10 h. 30 : Il sait qu’une école emmène plusieurs classes à visiter le Musée Aquatique. Il s’y rend avec le photographe de son équipe. Il abandonne la cravate, pose la veste et retrousse les manches. Les élèves doivent arriver vers 10 heures 45. A la descente des bus scolaires, il prend un groupe à témoin. Il s’installe au centre d’eux et annonce : « Les élèves devraient bénéficier d’une gratuité absolue d’accès aux Musées ». Son photographe mitraille. La une de son site Internet de demain est assurée.
11 heures 30 : une place piétonne accueille une animation musicale. A deux blocs, il a donné rendez-vous à des militants dotés de pancartes et de tracts cartonnés couleurs recto verso. Ils sont d’un « format poche ». Le texte est ramené au minimum. A côté de la photo, il s’agit juste de rappeler le slogan et de donner les indications pour être joint. Aux extrémités des rues conduisant à la place piétonne, ses militants distribuent son tract et proposent de venir rencontrer le candidat quelques dizaines de mètres plus loin. John serre le maximum de mains.
Vers 12 heures 30, il s’arrête. La pause déjeuner est brève pour chacun et doit être respectée. Il a donné rendrez-vous à son épouse et à l’un de leurs enfants. Ils s’installent et prennent leur déjeuner parmi les autres clients.
14 heures : John part pour le studio de photo. 1ère tâche : un maquillage léger mais de nature à conforter l’impression de « bonne santé » du candidat. John sait qu’aux USA on ne voterait pas pour un looser fatigué, blanc avec des cernes sous les yeux. Il cède à l’essentiel. Il sait que les retouches feront le reste. Thème du jour : préparer des photos de lui dialoguant avec des groupes de citoyens. L’essentiel du travail a consisté à affiner le casting pour que chacun puisse se retrouver avec le visage d’un participant. Il n’y a pas de place pour le hasard. Bien davantage, à ses yeux, si les groupes avaient été composés au hasard, ce serait une faute professionnelle. John alterne les tenues et les groupes se créent en fonction des messages.
15 heures 30 : John commence sa réunion avec son speech writer pour découvrir les formules qu’il doit employer lors du tournage de son vidéo clip. La séance débute. John découvre le scénario. Tout est indiqué dans le moindre détail.
16 heures 30 : John commence le tournage d’un vidéo clip. Il n’a qu’à suivre minutieusement le scénario. Tout est indiqué dans le moindre détail.
17 heures 30 : Persuadé qu’il y a désormais toute la matière pour réaliser 35 secondes très « punchies », John est reparti à son quartier général de campagne. Le temps pour repartir avec les membres de son équipe pour le plus proche terrain de sport voisin avec au programme 1 heure 30 de match de basket. Les équipes sont déjà constituées et plusieurs fois par semaine, des défis ont été lancés ponctués par la remise de coupes avec comme règle qu’elles soient remises en jeu la semaine prochaine.
19 heures : John rentre chez lui pour se changer, prendre une bonne douche et réviser une ultime fois le discours de ce soir.
20 heures 15 : John arrive à sa soirée de collecte de fonds. Les invités : ses anciens collègues de sa promotion. Son intervention sera brève : 10 minutes. Il ne s’agit pas de refaire le monde ni donner des leçons professorales sur des sujets théoriques. Il s’agit de renouer le contact. Son intervention est donc parsemée d’anecdotes. Il les accueillera un à un à l’entrée de la salle avec son épouse à ses côtés. Il a révisé ses fiches et chaque fois qu’il peut opportunément utiliser un prénom il ne manque pas l’occasion. Les tables ont été organisées avec systématiquement une place vide. Il pourra ainsi s’asseoir de table en table pour être proche de chacun de ses invités tout au long du dîner. Les frais de participation au dîner font que, même sans don supplémentaire, la soirée sera rentable. A fortiori si des dons supplémentaires devaient s’ajouter.
22 heures 45 : John rentre chez lui. La soirée a été une grande réussite. Il a significativement augmenté ses fonds électoraux. Dans 48 heures, il communiquera sur le nouveau chiffre actualisé de sa cagnotte électorale. Il est maintenant un candidat crédible puisqu’il a les moyens financiers pour durer. Il lui faut bénéficier d’un bon repos car le lendemain la journée sera chargée et il devra toujours apparaître disponible et en pleine forme.
Voilà le quotidien d’un candidat aux primaires pour une élection sénatoriale américaine.
Quatre attitudes le distinguent d’un « candidat français classique ».
Tout d’abord, il gère en permanence son image car il sait que son image est le 1er message passé aux électeurs. Le choix de son costume, de la couleur de sa cravate, son bronzage... sont des enjeux de communication à part entière. Le candidat est le message de toute la campagne. C’est donc la priorité absolue.
Ensuite, il décide des autres images qui porteront les messages loin de l’examen pointilleux des dossiers qu’il laisse à son équipe de campagne. Le candidat incarne un tempérament, une tranche de vie, un cursus. L’élection tourne autour de la rencontre éventuelle entre ce tempérament et les électeurs. Il n’est pas question d’aller dans le détail des dossiers. D’ailleurs cela ne servirait à rien. Les électeurs ont conscience que l’avenir est tellement imprévisible que l’essentiel n’est pas de connaître un dossier mais de leur indiquer comment le candidat sait réagir, être, se comporter, s’entourer...
Puis, il garde en permanence l’œil sur l’état de ses finances car c’est la condition de sa survie dans une longue course de haies. Chaque état public positif de son compte de campagne passe un double message. Le 1er est qu’il a les moyens de rester dans la course. Le second est que les financiers n’aideraient pas un « loser ».
Enfin, il sait que probablement tout sera très aléatoire dans la dernière ligne droite. La mobilisation de son équipe sera déterminante. Il soigne donc le climat interne. Savoir bien s’entourer est l’un des messages les plus positifs qu’il peut passer à l’opinion. C’est aussi la garantie que son équipe sera compétitive dans les dernières semaines de campagne quand tout ira encore plus vite et que le système de délégation devra fonctionner de façon encore plus mécanique.
A cette époque, le candidat sait que l’un des rendez-vous majeurs résidera dans le ou les débats publics où s’affronteront les derniers candidats en lice. A ce moment là, il devra dégager presque tout son emploi du temps pour les préparer avec minutie. Les préparer mais aussi paraître en pleine forme, pas atteint par le stress ni par la fatigue de mois intenses de campagne électorale. Pour cela, il doit avoir le temps nécessaire. Son équipe a donc dû s’habituer à le décharger de tout ce qui ne méritait pas son arbitrage personnel.
Ces singularités, dont la place donnée à l’image, peuvent parfois choquer. Et pourtant, comment ne pas observer que la vie politique française se rapproche de plus en plus de tels comportements. Ces derniers ne sont-ils pas le meilleur moyen de « parler aux électeurs ». La communication reste d’abord la façon d’établir le contact entre un émetteur et un récepteur. Le récepteur n’a plus les mêmes attentes aujourd’hui qu’hier. La communication commerciale est passée par là chaque jour. Il n’est plus si éloigné le temps où l’agenda de John deviendra aussi celui de Pierre, Paul, François et autres candidats Français...