François Hollande confronté aux vraies fractures creusées depuis 30 ans
« Même l’avenir n’est plus ce qu’il était ». Cette formule de Paul Valéry est probablement le résumé le plus saisissant de l’état d’esprit actuellement le plus répandu.
La première fracture est d’abord entre les Français et l’avenir. L’avenir était traditionnellement porteur d’améliorations. Il est désormais le symbole d’un monde déboussolé sans sortie de tunnel déjà perceptible. L’avenir est perçu comme un demain où il ne serait plus question de bien vivre mais seulement de survivre.
Ce sentiment, pour partie irrationnel, a fait naître une seconde fracture entre les élites et les citoyens. Les élites ont dégagé l’image de ne pas être soumises aux mêmes contraintes que celles du grand nombre. Elles bénéficient de protections particulières qui leur épargnent les pires embûches. Au moment même où la crise ne les frappe donc pas « comme tout le monde », les élites sont manifestement incapables de régler les principaux dossiers de nature à permettre au plus grand nombre de mieux vivre.
Ces deux facteurs ont créé un nouveau « besoin de vengeance ».
Là est la vraie fracture majeure.
Depuis « l’idéal révolutionnaire », l’inconscient collectif français est structuré autour de l’image du peuple qui peut faire « tomber la tête du Roi ».
C’est à ce jour la probable réalité du « climat citoyen » en France. La rupture entre les citoyens et les élites ne date pas d’aujourd’hui. C’est parce que cette fracture est déjà ancienne, qu’elle s’est approfondie donnant naissance à une crise qui a ainsi pris une dimension nouvelle, parce qu'elle s'est creusée depuis 30 ans.
Le 17 décembre 1992, un hebdomadaire (L’Evènement du Jeudi) publiait un long reportage de plus de 30 pages sur le thème « le peuple contre les élites ».
Ce reportage très fouillé portait des intertitres évocateurs :
- « 55 millions de Robinson Crusoë : chacun son île, sa vie et selon les cas, drame ou gag »,
- « là-haut, ils disent on dégraisse. Mais faut pas oublier que c’est de la graisse d’homme »,
- « certaines sections syndicales d’entreprise ne sont constituées que d’un seul membre, pas assez pour porter une banderolle »,
…
Déjà à cette époque, le philosophe Alain Etchegoyen dénonçait « l’inceste » qui caractérise les élites françaises avec une « reproduction » plus fermée que jamais.
Puis, ce climat a trouvé ses « nouveaux intellectuels » qui parlent différemment, bien éloignés des thèmes habituels comme des mots classiques de leur caste. Les figures emblématiques sont Alain Finkielkraut, André Glucksmann mais aussi Michel Houellebecq.
Les « élites culturelles » ont alors délivré le nom de baptême censé décrédibiliser les intéressés : les « néoréacs ». Mais rien n’y a fait, bien au contraire.
Il y eut le 21 avril 2002 et pourtant tout le mandat présidentiel de J. Chirac a été marqué par l’organisation de l’ignorance des votes populaires systématiquement hostiles au Pouvoir.
Le comble de la fracture est intervenu lors du référendum sur le traité constitutionnel européen qui a vu l’échec de l’ensemble des « partis de Pouvoir », coalition pourtant composée de l’UMP, de l’UDF et d’une partie du PS.
Ces vraies fractures prennent une dimension nouvelle avec la crise de 2008.
François Hollande a gagné la présidentielle 2012 en surfant sur ce rejet des élites, sur la notion d'égalité et sur la valeur de "normalité" le concernant : la déception est totale sur ces trois volets, d'où la révolte profonde du "trop c'est trop".