Jean Claude Killy et la culture des patriotismes
Très intéressant entretien de Jean Claude Killy au magazine L'Equipe sur les conditions de sa démission du CIO.
Jean Claude Killy développe une véritable culture du patriotisme dans des conditions qui montrent le décalage avec les hommes politiques ayant abandonné en France cette mentalité.
Dans un pays en crises généralisées, c'est peut-être cette culture qui peut offrir le rebond.
Le patriotisme n’est pas une idéologie. C’est un état d’esprit qui repose sur l’exaltation de critères d’identité (géographique, culturelle …) pour présenter une alternative.
Cette approche de « nouvelle offre » repose sur un terrain qui est d’abord celui de l’échec des approches idéologiques plus universalistes.
La poussée de patriotismes intervient lorsque les références idéologiques traditionnelles deviennent inefficaces voire même suspectes.
Il y a un moment où le décalage entre la « parole officielle » et la conscience collective de certaines difficultés produit un rejet des grilles classiques de lecture. Plus ce décalage dure ou se creuse, plus les repères classiques sont considérés comme instrumentalisés à des fins « impures » et suscitent un scepticisme croissant.
Les idéologies classiques ont toujours eu deux vocations complémentaires :
- un mécanisme de guide de la pensée,
- pour apporter des solutions.
Sur ces deux volets, la période actuelle est marquée par une fragilisation manifeste des idéologies qui ne donnent plus de grille d’analyse et qui apportent encore moins de solutions.
Cette poussée d’un nouveau patriotisme intervient donc classiquement lorsque trois facteurs sont réunis.
Tout d’abord, dans les circonstances où les idéologies traditionnelles ont fait preuve de leurs faiblesses. Elle s’avèrent incapables de mettre en œuvre des solutions durables. Elles donnent le sentiment de s’accommoder de situations qui ne sont plus supportées par l’opinion publique. Cette dernière éprouve alors le besoin de se réfugier dans une autre voie.
Ensuite, l’émergence du patriotisme accompagne les périodes où les valeurs universelles sont perçues comme un luxe. L’opinion publique ne conteste pas fondamentalement telle ou telle valeur d’accueil, de libéralisme, de tolérance mais elle considère que la pression des évènements du moment renvoie ces valeurs à des défis d’une autre époque ou à des aspects de « vitrine » qui n’ont plus de raison d’être.
Enfin, dernière étape, face à des sociétés de plus en plus permissives, le patriotisme est perçu comme un moyen de « légitime défense ». Pour se sauver dans des circonstances particulièrement mouvementées, le patriotisme apparaît alors comme une réponse car permettant de réaliser l’unité au moment même où elle serait menacée par des évènements forts.
La période actuelle est marquée par l’échec sur trois fronts d’aspirations vitales pour le progrès de l’espèce humaine : être, se réaliser, fraterniser.
Sur ces trois fronts, l’actualité semble laisser place à l’autodestruction, à une désagrégation de la communauté exposée à des maux multiples qui amplifient les peurs et les oppositions.
Si les idéologies traditionnelles ne parviennent pas à retrouver leur légitimité par leur utilité, une recrudescence des patriotismes se produira inéluctablement.
Le patriotisme n'est pas le nationalisme, loin s'en faut.
Dans son entretien à l'Equipe Magazine, Jean Claude Killy effectue une démonstration talentueuse d'une culture qui a progressivement quitté les instances politiques expliquant d'ailleurs pour partie l'actuel climat de "grande fatigue collective".