Esther Duflo et la trahison des clercs
Remarquable rentrée ce matin avec l'invitée d'Europe1 : Esther Duflo. Cette économiste a montré combien le débat public français est pauvre actuellement.
Tout se passe comme s'il suffisait de dire ce que l'opinion veut entendre alors qu'Esther Duflo a montré que l'enjeu était de dire aussi, voire surtout, ce que l'opinion publique pouvait penser mais à la condition d'argumenter.
C’est d'ailleurs un vieux débat que celui de l'engagement des intellectuels dans la vie publique :
- le livre de G. Suffert : « les intellectuels en chaise longue »,
- celui de J. Benda « la trahison des clercs »,
- voire même celui de Régis Debray « le pouvoir intellectuel en France ».
La tradition française repose sur une intervention active des intellectuels dans la vie politique. Malraux, Sartre, Camus...étaient des vrais acteurs permanents de la vie politique française.
Lors de certains temps forts critiques, des intellectuels ont été des vrais guides de l’opinion. Ce fut le cas en France du manifeste des 121 lors de la guerre d’Algérie, des « nouveaux philosophes » face à la barbarie des régimes communistes…
Ces périodes montrent les trois facettes de la contribution d’intellectuels :
- influence,
- exercice du pouvoir,
- contre-pouvoir manifeste.
Face à ces repères historiques, la période actuelle est marquée par une profonde ambiguïté.
Tout d’abord, que recouvre maintenant le mot même « d’intellectuel » ? S’agit-il d’intellectuels « professionnels » à l’exemple d’écrivains, d’universitaires, de journalistes ? S’agit-il de « nouveaux » intellectuels au parcours différent comme des anciens hauts fonctionnaires ou des dirigeants d’entreprises qui cherchent à acquérir ou à conserver une position intellectuelle complémentaire à leur implication directe dans un processus classique de production ?
Si nous devons avoir à l’esprit qu’il s’agit là de deux profils distincts, au-delà même de leur profil, l’enjeu réside dans leur capacité à affirmer et à diffuser la différence.
Les sociétés contemporaines installent rapidement une sorte de « pensée unique ». Beaucoup de facteurs, dont la reconnaissance de la mondialisation, contribuent à créer une sorte de « chape de plomb » qui écrase les « dissidences » intellectuelles.
C’est justement parce qu’existe une tendance de ce type, qu’il est indispensable que des intellectuels se réinvestissent dans la vie publique.
Ce « retour » doit correspondre à un nouveau statut. Les intellectuels doivent à la fois chercher à « éclairer » le pouvoir mais aussi être un vrai facteur de transparence pour l’ensemble de l’opinion publique.
La fonction principale d’un intellectuel c’est de ne jamais être complice d’un processus d’uniformisation.
L’intellectuel est celui qui doit d’abord être le garant d’une distance entre la société et le pouvoir.
Ces intellectuels, sans avoir le monopole de la dissidence, doivent réinvestir le débat politique français afin qu’il retrouve une vitalité née du choc des idées.
C'est ce qu'a fait ce matin Esther Duflo avec talent et conviction.
Voilà au moins une intellectuelle qui n'a pas déserté.
Un grand moment de radio grâce à Europe1. Bravo !