Center Parcs Roybon : une décision de justice très attendue
Le rapporteur vient de communiquer aux parties le sens de ses conclusions qui visent, selon le Dauphiné Libéré de ce jour, à l'annulation d'arrêtés préfectoraux dans des conditions de nature à remettre en cause l'évolution d'un dossier qui progressivement est devenu très polémique avec des oppositions fortes sur le terrain.
Les faits : le projet consiste à implanter dans le bois des Avenières, sur les hauteurs de Roybon, un Center Parcs, c'est-à-dire un village de vacances. Il en existe déjà 19 en Europe, dont 4 en France. Les Center Parcs sont des structures imaginées et réalisées par le groupe Pierre et Vacances. Il s’agit de villages composés de cottages en bois, au cœur de la nature, avec un grand centre aquatique et de loisirs dédié particulièrement aux familles. Le Center Parcs de Chambaran, qui serait déployé sur 200 hectares, prévoit 1 000 cottages. Ce domaine est présenté comme étant de nature à créer 700 emplois.
L’ouverture est prévue pour le 1er semestre 2017.
Le 19 novembre 2014, la Fédération de la Drôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique et l’Union régionale des fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique de Rhône-Alpes (URFEPRA), ont déposé un référé suspension contre l’arrêté du Préfet de l’Isère du 3 octobre 2014 autorisant la société SNC Roybon Cottages à engager des travaux sur site dans le cadre de ce projet. A cette étape, il importe de rappeler que le Juge des Référés est le «juge de l’urgence et de l’évidence». Pour qu’il décide la suspension, il faut un doute sérieux sur la légalité. Ce doute sérieux pouvant être de nature à faire peser un doute sur la décision au fond du dossier, le Juge des Référés peut alors décider une suspension pour éviter que le temps ne se retourne contre le droit, c'est-à-dire qu’à l’issue une décision soit rendue mais inopérante puisque le temps de l’examen au fond aurait permis des opérations irréversibles.
Le 23 décembre 2014, le Juge des Référés du Tribunal Administratif de Grenoble donne raison à l’une des requêtes et suspend l’arrêté en estimant qu’il y a des doutes sérieux sur la légalité de cet arrêté.
La motivation du Juge est alors la suivante : « Considérant qu’en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que le projet de village de vacances Center Parcs de Roybon aurait dû, eu égard à son coût prévisionnel, faire l’objet d’une saisine de la commission nationale du débat public au titre du I de l’article L. 121-8 du code de l’environnement, est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée et ce, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que l’autorisation en litige ne porte que sur certains travaux qui, pris isolément, n’atteignent pas le seuil fixé par l’article R. 121-2 du code de l’environnement, ni celle que la SNC Roybon Cottages bénéficie pour son projet d’un permis de construire devenu définitif ; qu’est également propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le moyen tiré de l’insuffisance des mesures compensatoires à la destruction et à l’altération de zones humides au regard des exigences fixées par l’article L. 211-1 du code de l’environnement et le SDAGE Rhône-Méditerranée ».
Juridiquement, la situation peut paraître alors "simple" au moins sur un volet de procédure : le projet du centre de vacances Center Parcs est un investissement global de 370 millions d’euros. La loi prévoit la saisine de la Commission nationale du débat public pour les équipements touristiques dont le coût estimatif excède 300 millions d’euros. Or cette saisine n’est pas intervenue donc la procédure légale n’a pas été respectée.
Mais ce volet semblait de nature à donner lieu à une interprétation différente par une décision du Conseil d'Etat.
Discussion
La discussion maintenant sur le fond va porter sur plusieurs éléments :
1) Le seuil légal pour la saisine de la Commission : 300 millions d’euros mais aussi des obligations légales en matière de droit de l'eau et d'espèces protégées. Le projet est reconnu par Pierre et Vacances comme un estimatif officiel de 370 millions d’euros. Mais ce montant global recouvre-t-il tous les éléments d'un "bloc" ou peut-il être décomposé en différentes parties ce qui changerait le montant donc le seuil de la saisine de la Commission.
2) Le groupe Pierre et Vacances est un groupe de 7 500 salariés. Il dispose donc de toute l’expertise nécessaire pour qu’une telle étape légale soit connue par lui donc respectée comme les autres relatives au droit de l'eau notamment.
3) Par conséquent, à ce jour sur ces volets juridiques très précis, les éléments de discussions devraient entourer plusieurs sujets :
3a) Comment et pourquoi un groupe aussi expérimenté que Pierre et Vacances peut décider de s’affranchir de contraintes légales aussi claires, formelles, précises ?
3b) Pourquoi des élus de la République peuvent-ils s’offusquer si une contrainte légale aussi objective à respecter ne l’est pas ? Si la contrainte légale ne sert à rien, elle doit être supprimée. Si elle existe, comment défendre qu’elle puisse ne pas être respectée ?
La décision prochaine du Tribunal Administratif de Grenoble sera entourée d'une attention particulière dont la volonté ou la capacité à s'éloigner de l'interprétation juridique du Rapporteur Public, ce qui est un chemin sur lequel les sections de jugement s'engagent rarement d'ordinaire dans la logique même du fonctionnement de cette Institution.
Le Tribunal Administratif de Grenoble pourrait statuer "toutes chambres réunies" selon les informations communiquées par le Dauphiné Libéré.
Le Tribunal Administratif de Grenoble a souvent initié par le passé, avec un grand esprit d'indépendance, des avancées fortes de jurisprudence notamment en matière de responsabilité administrative sous l'impulsion alors d'un membre juriste remarquable que fut M. Gilbert Anton. Des avancées qui ont été ensuite "consacrées" par le Conseil d'Etat notamment dans le "droit de la montagne" (avalanches, protections ...).
C'est un dossier qui va considérablement occuper la une des événements locaux car si la raison de la "sanction" devait être un ou des actes de procédure objectivement "incontournables" ou l'irrespect de normes essentielles liées au droit de l'eau et / ou des espèces protégées, les polémiques devraient ensuite s'engager sur les raisons d'un tel "contournement" posant la question de fond du rapport entre les parties à une décision politique emblématique et le Droit.