Grenoble : l'ADN d'une ville existe-t-il ?
Avec la publication en début de semaine d'un entretien avec Michel Destot, ancien Maire PS, Le Dauphiné Libéré a amplifié le débat local actuel sur le thème de l'alerte face à un éventuel divorce entre l'équipe municipale conduite par Eric Piolle et les Grenoblois. Loin de céder aux modes qui alimentent les conversations entre "gens initiés", la réponse technique à cette question suppose de répondre à une question de fond : une ville a-t-elle un ADN c'est à dire des composantes durables qui fondent son "tempérament" ? Un sujet passionnant qui met en relief sous un autre jour les résultats électoraux. C'est en fonction de cet éventuel ADN qu'un score peut être interprété donc sa solidité dans la durée.
En préalable, avant de répondre à cette question, il faut revenir sur une mode actuelle qui serait le constat de la volatilité de l'opinion. L'opinion serait portée par des choix tellement éphémères qu'elle pourrait refermer rapidement une page écrite seulement quelques mois auparavant. Mais cette mode correspond-elle à une réalité ? Non. La réalité montre que l'opinion publique dans une géographie répond à des tendances durables qui sont le produit d'une histoire, d'une sociologie, d'un système. L'opinion se comporte dans la durée avec une remarquable constance. Même et toujours actuellement.
Il suffit d'ailleurs de bien connaître plusieurs villes pour constater des comportements très différents à critères sociologiques pourtant globalement constants. La bourgeoisie lyonnaise n'a pas les mêmes attitudes que celle de Bordeaux. Et encore moins à Nice, Lille ou Dijon...
Il existe bien un ADN des villes.
Pour Grenoble, en quoi consiste cet ADN ?
En juin 1987, dans le cadre d'un colloque organisé par l'Université de Paris IV, M. Armand Frémont est intervenu sur ce thème. Un universitaire géographe spécialiste des espaces vécus, par ailleurs Recteur de l'Académie de Grenoble (1985 - 1989), intervient sur ce thème. Une contribution de 17 pages qui n'a pas pris une ride, ou presque, tant M. Frémont s'en tient à des tendances de fond.
A un moment de son intervention, il produit un tableau de synthèse :
Ce tableau date de ... juin 1987 et il contient toutes les tendances des résultats de ... mars 2014 comme des résultats antérieurs d'ailleurs.
Si ce tableau devait servir de "carte mère" pour identifier le portrait du candidat voué à gagner 2014, le nom d'Eric Piolle sortirait presque à chacune des cases.
Par conséquent, trois questions méritent alors d'être posées :
1) les tendances classiques ont-elles brutalement massivement changé à Grenoble depuis mars 2014 ? Aucun élément ne permet de l'établir. Il faudrait par exemple une arrivée massive de seniors ou de CSP + pour établir des bases différentes. Aucun élément sérieux ne permet de déduire que de tels changements sont intervenus depuis mars 2014.
2) Par conséquent, si les tendances classiques demeurent, la question est de savoir si Eric Piolle et son équipe se sont éloignés de leur image de marque 2014. Deux marqueurs sont à observer avec attention. D'une part, Eric Piolle appartient-il encore à la "gauche libre" ? Il gère avec habileté ses relations avec les Verts. Il pourrait voir son image entamée s'il devenait scotché à l'image nationale des Verts. Mais à ce jour, dans l'opinion, ce n'est pas le cas. Il y a toujours une image distancée. Le second marqueur est celui du "progrès". Sur ce point la communication de la Ville de Grenoble est gérée avec beaucoup de professionnalisme. Chaque mesure locale est présentée comme un "coup d'avance" sur les autres. Même le dossier controversé de l'autoroute à vélos est placé dans cette logique. La décision de la Ville de Paris de livrer les Champs Elysées aux vélos et aux piétons un dimanche par mois va aller dans ce sens dans la durée aux yeux des Grenoblois. Ne sont-ils pas en avance sur les ... Parisiens ?
Face aux tendances classiques, il n'y a donc pas aujourd'hui de marqueur qui permette de conclure au décrochage manifeste entre l'image de 2014 et celle de 2016. D'ailleurs, autre exemple,dans le choc entre la liberté et la sécurité, les Grenoblois choisissent toujours la liberté. Les Républicains 38 ont été incapables de mobiliser fortement pour remplir une pétition pour obtenir un vote sur ce thème.
3) En conséquence, à ce jour, sur la base d'une analyse technique, rien ne permet de conclure à un divorce. La véritable question réside surtout sur la volonté et la capacité des oppositions à mieux correspondre à la demande en fonction de l'ADN de la ville. Du côté des Républicains 38, les élections cantonales 2015 puis les élections régionales 2015 n'ont pas montré la volonté et / ou la capacité de faire évoluer leur offre sur ce terrain. C'est étonnant parce que cette formation avait été capable entre 1981 et 1983 d'effectuer ce travail interne qui lui a alors ouvert le chemin sur le score de mars 1983. A gauche, le véritable enjeu de Michel Destot, s'il veut se placer en pivot d'une refondation du PS local, c'est le test de sa capacité à changer l'offre locale du PS. Actuellement, le PS tombe dans l'ornière des ... Républicains. Critiquer sans proposer. Prêter le flanc au reproche de "Grenoble bashing". Le "Grenoble bashing" est un piège redoutable pour les oppositions puisqu'il entre en choc direct avec la fierté revendiquée de la Ville qui est dans l'ADN de la ville. Il risque d'éloigner l'offre des oppositions de la demande structurelle des Grenoblois.
C'est bien d'une totale refondation que les oppositions ont probablement besoin pour accepter de construire une offre qui réponde à la demande locale. C'est la construction de cette offre qui modifiera la donne locale. Pour l'instant, faute de ce travail, le jeu pour 2020 risque de demeurer très fermé sur Grenoble tant que cette étape de refondation n'est pas franchie.
Denis Bonzy
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