Alain Juppé et la fracture des droites françaises
Sans remonter aux critères mis en relief par René Rémond sur les trois droites en France, c'est une évidence qu'il y a plusieurs droites en France comme il y a au moins autant de gauches sur l'autre flanc de l'échiquier politique. Mais il faut revenir sur les conditions d'un tournant de la Vème République.
L'échec d'Alain Juppé lors de la primaire 2016 a mis en évidence 3 faits majeurs. 1) L'inadaptation des primaires ouvertes à la vie politique française. La "mode Juppé" a duré de 2010 à l'automne 2016 (cf lettre Exprimeo ci-dessous de 2011). Elle a donc été tout sauf éphémère. Ecarter les enseignements constants d'un panel incontesté de sondages sur une séquence temps de près de 6 ans pour s'en remettre à un échantillon partiel relève du jamais vu dans une démocratie moderne.
2) Si ces enseignements constants des sondages ont été écartés pour s'en remettre à un échantillon moins représentatif, ce fut au prix d'un sprint de campagne "sauvage" visant à éliminer un candidat qui avait de tous temps témoigné une loyauté irréprochable en faveur de son parti. Car la condamnation judiciaire d'Alain Juppé était non seulement datée, c'est à dire adossée à une "époque particulière" des financements politiques mais acceptée par l'intéressé pour des causes bien au-delà de sa seule personne, voire même de sa seule responsabilité dans le processus de l'époque.
3) La "mode Juppé" correspondait à une "vague centrale" de l'opinion française désireuse de trouver des passerelles à l'opposé du manichéisme traditionnel des chocs électoraux. Alain Juppé a incarné cette "vague centrale" bien avant Emmanuel Macron comme d'autres marqueurs avaient pu le faire à l'exemple de Dominique de Villepin avec République Solidaire ou, sur un autre socle, Denis Payre avec Nous Citoyens. Ce positionnement central pouvait pencher soit à droite soit à gauche pour re-structurer les forces politiques sur des bases nouvelles. Avec Emmanuel Macron, cette restructuration est intervenue avec un recyclage manifeste de nombreux ex-députés PS ou de candidats aux cursus proches du PS. Par conséquent, la droite a manqué ce rendez-vous. Elle l'a manqué au profit d'un candidat qui va installer une approche considérablement plus libérale en matière d'économie et surtout probablement moins traditionnelle sur les sujets de société. Par ces deux volets, les droites entrent dans une période structurellement délicate. Les libéraux en matière d'économie vont quitter les droites classiques. Et les plus "traditionnels" dans l'organisation de la société vont demander un discours rigoriste sur ces thèmes au prix de faire croître en permanence ce fossé.
Au-delà même de la personne d'Alain Juppé, son échec dans la présidentielle 2017 sera dans le temps d'abord l'échec de la gouvernance des partis politiques français. Comme le profil de Benoit Hamon pour la gouvernance du PS. Si un parti ne se structure pas autour d'un Chairman capable de s'extraire de toute ambition présidentielle personnelle pour se consacrer au seul objectif de contribuer à la désignation du candidat le mieux placé pour gagner la présidentielle, il s'expose à des dangers considérables. Tant que ce sujet ne sera pas traité, d'autres "aventures" comme celles des primaires 2016 seront possibles. Une fois de plus, en n'important qu'un volet de la politique américaine (les primaires), la France a mis en place un dispositif redoutable qui ne correspondait ni à la culture des citoyens ni à l'organisation des partis. Pas surprenant que ces partis sortent de cet épisode en péril. C'est d'abord l'échec des tenants de "l'offre fermée". Les démocraties modernes ouvrent un espace quand cette "offre fermée" n'intègre pas ses courants principaux. C'est la leçon majeure de la victoire d'Emmanuel Macron. Les partis n'ont plus vocation à encadrer l'opinion mais à l'écouter pour accompagner les changements voulus par l'opinion.