Jacqueline Irles et le paradoxe du parlementaire
Jacqueline Irles est passé au rang de "curiosité" parce qu'elle a osé s'exprimer face au Chef de l'Etat. Ce constat montre l'immensité du paradoxe qui frappe le parlementaire français.
Pendant de nombreuses décennies, la sagesse populaire disait " le peuple est roi puisqu'il nomme ses princes : les parlementaires ".
Cette formule portait en elle tout le paradoxe de la fonction de parlementaire : supposé être représentant du peuple tout en devenant membre d'une élite.
La démocratie parlementaire a fait naître ou a mis en évidence bon nombre d'autres paradoxes :
- censé être le représentant de toute la nation, le parlementaire s'est pourtant de plus en plus comporté en représentant de sa circonscription électorale,
- supposé être le représentant de tous, il est aussi devenu de plus en plus étroitement lié à un parti politique.
Ainsi progressivement, il semble qu'est né un métier politique qui transcende les formations politiques : celui de parlementaire.
Derrière cette évolution, quelle est la situation réelle du parlementaire ? N'est-il plus que le membre sans pouvoir d'une institution présentée en déclin ou, au contraire, demeure-t-il le représentant du peuple détenteur de la souveraineté ?
La vérité est sans doute intermédiaire.
En effet, si un certain déphasage a pu naître entre la conception traditionnelle du rôle de parlementaire et les nécessités de la vie politique moderne, le parlementaire paraît s'adapter à ces nouvelles exigences.
Le déphasage naît essentiellement de la différence considérable entre les prérogatives théoriques du parlementaire et la réalité de sa marge d'autonomie qui est très limitée.
Son statut individuel est manifestement inadapté. Il n'a pas les moyens d'expertise nécessaires pour exercer correctement sa fonction. Il lie de plus en plus son sort à celui d'un parti politique. Il se fond dans un groupe parlementaire qui s'efforce de faire régner la discipline de vote. STENDHAL a donné dans " Lucien LEUWEN " une bonne description de l'apparition d'un groupe dans un régime qui devient parlementaire. STENDHAL met bien la lumière sur la discipline de vote qui devient l'une des raisons d'être des groupes parlementaires.
Ses fonctions sont de plus en plus concurrencées qu'il s'agisse de la représentation, de la création des lois et encore plus de la fonction de contrôle.
Une adaptation est donc nécessaire. Une adaptation des fonctions afin de renforcer les moyens de contrôles, d'enquêtes ââ¬Â¦ Cette adaptation doit correspondre à une amélioration de la disponibilité des parlementaires ce qui ouvre la question des incompatibilités et du cumul des mandats.
Mais surtout, le parlementaire doit s'ouvrir à de nouvelles fonctions. Il doit probablement redevenir l'interlocuteur privilégié des citoyens grâce à l'émergence de nouvelles formes de participation.
Il y a un émiettement des problèmes, une parcellisation des enjeux, une difficulté à favoriser l'expression du niveau local. Toutes ces évolutions appellent une nouvelle démocratie de proximité dont le député peut être le facilitateur.
Les Institutions de 1958 se voulaient les moyens "d'une démocratie dans l'action". Dans cet équilibre difficile, il est certain que l'action a souvent pris le pas sur la démocratie.
L'exécutif a été le grand vainqueur des Institutions de 1958. Il ne s'agit pas de fragiliser un pouvoir exécutif solide mais d'en assurer un contrôle permanent plus efficace.
La modernisation de notre régime politique réside dans ce nouvel équilibre à définir. L'importance de ce chantier montre combien le statut de parlementaire sera à la croisée des chemins dans les prochaines années.
Jacqueline Irles est devenue l'exemple du parlementaire qui ose l'élémentaire, quand la témérité cache ce qui devrait relever du simple ordinaire. Ce constat montre l'immensité des efforts à effectuer pour restaurer le rôle du parlementaire sous la Vème République.