Sylvain Fort et le défi de Jon Favreau

Tout dernièrement, un hebdomadaire, L'Express, consacrait un long reportage à la "plume" d'Emmanuel Macron, Sylvain Fort. La filiation entre la campagne d'Emmanuel Macron et celles de Barack Obama est particulièrement étroite. Sauf dans les discours. C'est peut-être l'un des enjeux majeurs de l'équipe présidentielle... ?

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En 2013, la revue Esprit a consacré un article remarquable à la rhétorique des discours d'Obama. A l'origine des discours de Barack Obama : un rédacteur de 30 ans : Jon Favreau. Jon Favreau a transformé le discours en une succession de mots porteurs d'images de la vie quotidienne. Des discours qui portent des émotions inclusives c'est à dire capables d'être connues et comprises par chacun.

Avec un extrait de la revue Esprit, tout est résumé :

"Comment accélérer le rythme, dans un discours – sans semer ses auditeurs ? Comment aller vite – sans dé­grader le sens, sans abaisser la quantité d’information transmise ? Les deux premières figures mobilisées par B. Obama jouent ce rôle d’accélérateur de compréhension : métaphore et métonymie. Ces deux chemins de traverse sont des raccourcis d’expression qui plongent dans la pente pour nous rapprocher du but, accélérer notre compréhension.
La métaphore est « une comparaison nue, sans échafaudage » (voilà une définition métaphorique de la métaphore). Car la métaphore de base établit la comparaison sans aller chercher les mots habituels de la comparaison, les « … comme… », « … pareil à… », « … ressemble à… » (d’où : « ton visage est un paysage »). À partir de ce schéma de base, il est possible d’augmenter les effets, tout en respectant l’économie de moyens qui caractérise la métaphore.
B. Obama n’hésite pas :
"Nous dompterons le soleil, le vent et le sol…"
Il évoque ici les industries nouvelles du secteur énergétique.
Voici la traduction en style technocratique :
"Nous augmenterons la production d’électricité issue des énergies nouvelles – solaire, éolien, géothermie."
Chacun comprend la première phrase, métaphorique, plus vite que la deuxième. En plus, par ce type de raccourcis, B. Obama accède droit à nos cœurs. Car « l’image nue » s’adresse autant à nos sens qu’à notre raison. Raison et passion : Obama nous parle en stéréo. Voltaire déjà appréciait la métaphore qui « appartient à la passion », par opposition aux comparaisons qui « n’appartiennent qu’à l’esprit » (commentaire sur Corneille, remarques concernant Horace).

Deuxième chemin de traverse. La métonymie va nous faciliter la découverte d’une réalité plutôt vaste et complexe : nous trouvons directement le bon endroit pour pénétrer un monde complexe, en poussant une porte d’entrée à notre taille. En un instant nous saisissons le détail significatif (révélateur du tout). Ce petit bout de rien du tout doit être bien choisi par l’orateur. C’est, le plus souvent, un petit morceau de la vaste réalité à saisir : la partie pour le tout (« la voile » , pour indiquer « le bateau »). Ce peut être aussi un détail qui est accroché à cette réalité comme une cause, ou une conséquence : lien logique, contiguïté. Il est temps de donner un de ces extraordinaires exemples de métonymies employées par B. Obama. Un exemple est un petit représentant du tout (voilà une définition métonymique de la métonymie). Obama :
"Un homme dont le père, il y a moins de 60 ans, n’aurait peut-être pas pu être servi dans un restaurant de quartier, peut maintenant se tenir devant vous pour prêter le serment le plus sacré."
Par cette métonymie, nous empoignons une abstraction statistique (la forte mobilité sociale ascendante permise, aux États-Unis). La phrase de technocrate à laquelle vous avez échappé :
"L’abolition officielle de la ségrégation qui sévissait encore il y a 60 ans a ouvert de très fortes possibilités de mobilité sociale ascendante aux États-Unis y compris chez les immigrés de couleur, grâce à l’ouverture formidable du peuple américain, au point que le fils d’un immigré peut devenir le président de notre République."

Jon Favreau a su écrire comme un scénariste de la vie quotidienne. Il a construit des discours inclusifs, personnalisés.

C'est justement ce volet inclusif qui fait actuellement défaut à Emmanuel Macron en France. Ses interventions sont très littéraires, élitistes. Soazig de la Moissonnière tente de faire de l'intimité via la photo comme Pete Souza a réussi de façon remarquable et à ce jour inégalée en faveur de Barack Obama.

Mais pour le discours, Emmanuel Macron multiplie tellement les références culturelles qu'il s'éloigne de la vie de tous les jours. Il reste encore à réussir le défi de Jon Favreau : que les mots par leur simplicité mettent en scène la vie quotidienne pour que tout le monde puisse s'y retrouver.

  • Publié le 15 juillet 2018

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