Emmanuel Macron et l'avertissement ancien de Michel Rocard
Pour que l’échéance de 2022 puisse changer la donne, encore faut-il qu’elle ne soit pas d’abord la naissance d’une social-démocratie à la française. La vie politique française va mal. La représentation politique est en crise. Quoi de plus naturel quand l’une et l’autre fonctionnent toujours sur des clivages qui ne sont plus ceux de la société. Le temps de l’opposition droite/gauche est passé. La société vit désormais de nouveaux clivages. La difficulté résulte du fait que ces nouveaux clivages ne recouvrent pas les frontières de l’ancienne organisation de nos forces politiques.
La vie politique ne recouvre plus les grands repères de la réalité sociologique. Le vote du 29 mai 2005 à l’occasion du référendum sur le traité européen a été le 1er scrutin à consacrer aussi manifestement l’émergence de cette évolution.
Parce qu’elle ne correspond pas aux repères anciens, cette évolution fait imploser les composantes politiques traditionnelles au sein desquelles cohabitent désormais des tenants de lectures trop éclatées de l’avenir.
De ce décalage entre la France politique et la France sociologique naît la paralysie de notre pays face à la modernité.
Les scrutins sont construits sur une «parole d’élection» qui ne peut pas être le socle d’actions car elle n’a pas d’ancrage sociologique majoritaire.
Chaque coalition politique continue sur la lancée de son histoire, avance avec les à-coups d’intérêts à court terme de son leader. Mais, en aucun cas, elle n’a eu le courage de regarder en face cette nouvelle réalité.
Dans son entretien au Nouvel Observateur le 18 août 2005, Michel Rocard avait eu, une fois de plus, l’honnêteté d’exprimer des réalités lourdes de sens.
Ainsi déclarait-t-il avant le Congrès du Parti Socialiste :
" Il faut jeter à la poubelle ce patois marxiste qui fait écran à la réalité.
Nous ne disons pas qui nous sommes : des sociaux démocrates européens. Nous sommes du coup incapables de construire une perspective.
Quand je lis les tenants du non à la Constitution européenne, je me rends compte à quel point des gens comme moi sont un boulet pour eux.
Ils croient au retour de la politique nationale.
Je pense exactement le contraire. Au fond, nous devenons de jour en jour insupportables les uns aux autres. Nous nous paralysons mutuellement.
Nous devons nous libérer.
Comment peut-on être intelligent, participer à des cercles universitaires et créer Attac, ce monument de bêtise économique et politique ? Cela me sidère et me navre. »
Voilà une déclaration qui avait le mérite d’être claire. Michel Rocard avait eu l’honnêteté de dire tout haut ce que chacun pensait tout bas. Il rappelait surtout que le conservatisme pour gagner une élection conduit parfois à des alliances tellement artificielles qu’il rend impossible ensuite une gestion efficace.
Une élection doit d’abord être le rendez-vous entre un projet clair reposant sur une vision partagée de l’avenir et l’expression d’une majorité électorale.
Ce ne doit pas être un «mille feuilles» de couches électorales visant uniquement à s’ajouter les unes aux autres pour franchir la barre fatidique des 50%.
C'est tout l'actuel enjeu de fond dans la construction de l'actuelle alliance des gauches : les différences de doctrines les rendent insupportables mais les habitudes électorales les transforment en alliés solidaires jusqu’à quand et pour aller où ? Le jour où la vie politique Française apportera une réponse claire à cette question majeure, elle sera entrée dans une nouvelle époque.
Emmanuel Macron construit une force politique centrale dont la vocation est de constituer une digue face à la droite et à la gauche radicales. Chacune de ces trois composantes a-t-elle en interne un socle assez solide pour gouverner ensemble et non pas tenter de gagner ensemble ?