Vincent Peillon se met en danger
Vincent Peillon pose une question de fond dans des conditions de forme contestables. Mais la forme doit-elle cacher le fond ?
"Quel est votre rêve aujourd'hui ?" et la mère répond "voir mon fils arriver dans la cuisine, ouvrir le frigo, le dévaliser et aller s'asseoir sur le canapé devant la télé !".
Cette séquence est extraite d'une émission de la BBC "reporters de l'extrême" consacrant une semaine de reportages sur le terrain aux troupes GB en Afghanistan.
Le fils de cette mère est mort quelques jours auparavant ... Avec de tels témoignages, la guerre prend un autre visage.
Une guerre si souvent cachée en France. Lorsque Jacques Chirac a professionnalisé l'armée, il prenait un risque considérable : que l'opinion délègue la défense à des professionnels et s'en désintéresse.
C'est ce à quoi on assiste actuellement en France. La France est en guerre mais les médias ne se posent pas les questions du prix, de la durée. Ils acceptent à peine de montrer le coût humain. Pourquoi la guerre est-elle cachée à ce point là ?
Vincent Peillon a posé une question déterminante : les médias du service public font-ils l'opinion sur des bases de nature à servir la politique gouvernementale ?
Il y a actuellement trois éléments qui méritent une attention prioritaire :
- l'instrumentalisation des sondages : sur les régionales, il est caricatural de constater la prolifération de sondages qui se limitent au premier tour à l'exemple cette semaine du sondage publié dans Valeurs Actuelles sur l'Ile de France. Techniquement, il est inconcevable de lancer une enquête sans chercher à connaître le gagnant. Cette question a dû être posée mais elle n'est pas publiée. Pourquoi ? Parce qu'elle gênerait le commentaire sur le thème de "l'UMP en tête" ... ?
- la disparition des débats de fond : quand actuellement Lionel Jospin intervient, sa dialectique change des discours du temps présent. Il cherche à donner des explications internationales. Il y a une culture et une vision derrière ses commentaires qu'il est possible de partager ou pas. Il est loin de l'appauvrissement actuel qui passe par des invectives de plus en plus grossières ou des arguments qui ne tiennent pas la reflexion à l'exemple du porte-parole de l'UMP expliquant les chutes du nombre d'adhérents par ... les décès.
- la présomption de complicité des médias : la France est structurellement dans un régime malsain que droite et gauche n'ont pas réformé. La presse quotidienne nationale est tenue par des actionnaires liés à des marchés d'Etat. La presse régionale a installé des partages de territoires reposant sur des monopoles. Il est difficile de faire pire dans les deux cas. Sur cette base déjà imparfaite s'ajoutent des liaisons personnelles assumées désormais de façon quasi-ostentatoire.
Dans ces circonstances, la question posée par Vincent Peillon est légitime. Comment expliquer la distorsion entre les "sujets de l'opinion" non traités (pouvoir d'achat, relance, emploi, sécurité, santé...) et les "sujets du Gouvernement" aussitôt relayés ?
Pour poser cette question de fond concernant l'émission de France 2 sur Eric Besson, le leader socialiste a adopté deux méthodes qui posent problèmes :
- la dissimulation cachant sa véritable intention,
- la demande de démission à l'endroit d'une journaliste qui montre la culture d'intervention des politiques sur les médias même dans la nouvelle génération.
Ces deux maladresses de forme ne doivent pas emporter la question de fond.
Une inégalité majeure est actuellement installée dans le paysage politique : la distorsion des moyens.
Il est rare qu'une démocratie moderne connaisse un tel écart entre pouvoir et opposition.
Cet écart ne menace-t-il pas la loyauté du déroulement de la prochaine présidentielle ?