L'UMP et la nouvelle contestation interne
Mai 1997 : l’Europe découvre un jeune premier ministre britannique qui vient de mettre un terme à un record historique de Gouvernement conservateur. Il est toujours souriant, apparaît frais et innocent. Sa victoire ne doit pour autant rien au hasard ou aux bonnes fées. Il l’a conquise à la force du poignet en prenant le meilleur des avancées dans les techniques modernes de communication.
Sa victoire est d’abord celle d’un remarquable professionnel préparé comme « pour un débarquement » selon la formule en vogue à Londres à cette époque.
A l’approche des élections, son parti « New Labour » a installé Excalibur. C’est un super-ordinateur qui en 30 minutes met en évidence les contradictions des concurrents, les votes emblématiques, les déclarations enflammées… Derrière ce nom barbare figure surtout une méthode qui a intégré toutes les avancées en matière de communication moderne. Voilà quelques unes des mesures adoptées à cette époque.
Tout d’abord, grâce à la qualité de la démocratie britannique, un shadow cabinet a été constitué. Les secrétaires généraux des principales administrations ont été autorisés à venir exposer les principaux dossiers et répondre aux questions. Sur cette base intégrant des contraintes légitimes de gouvernement, le programme a été construit en faisant appel aux productions de think tanks. Ces clubs de réflexion privés ont planché sur des sujets politiques très pointus.
Le service communication a alors bâti le programme du leader travailliste en « nourrissant la presse » en permanence. Cette « méthode Deaver » consiste à planifier l’information pour ne jamais se retrouver en position défensive face aux médias. Une matière choisie lui est ainsi donnée comme sujet quotidien de traitement. C’est l’inversion du système. Deuxième point majeur, dans cette matière, tout repose sur l’image. L’image prime toujours. Quand il y a choc entre l’œil et l’oreille, les études montrent que l’œil l’emporte systématiquement. Le spectateur retient ce qu’il a vu infiniment plus que ce qu’il a entendu. Tout le professionnalisme consiste à ce que l’image porte le bon message au bon moment pour les bonnes cibles.
Chaque relais de la campagne dont les candidats aux législatives est équipé d’un pager et d’un fax. Chaque demi-journée, chacun d’entre eux reçoit les messages du jour à délivrer à la presse, aux opposants…
Sur le plan général, des sondages quasi-quotidiens garantissent la vérification en temps réel de l’opportunité des actions conduites. La fonction de ce dispositif est de « simuler » les conséquences électorales de chaque annonce, chaque image, chaque message à partir d’un scénario bâti par étape.
La fiabilité de cette simulation repose sur la démarche suivante :
- intégrer informatiquement tous les éléments qui composent l’environnement d’une décision des électeurs,
- identifier les conséquences cohérentes classiques d’une annonce par corps électoral,
...
Ce modèle a été poussée à son extrême performance par R. Wirthlin, proche conseiller de Ronald Reagan. Les membres de l’équipe de Richard Wirthlin ont indiqué ultérieurement que les enseignements étaient donnés en moyenne en 47 secondes après avoir questionné l’ordinateur. Leur méthode avait consisté à rassembler les informations disponibles sur les comportements électoraux de 480 catégories d’électeurs distinguées selon leur lieu de résidence, leur sexe, leur âge, leur catégorie socio-professionnelle, leur religion, leur pouvoir d’achat…
Les conservateurs avaient installé un appareil performant ( un 80 000 ICL ME29 ) auquel les travaillistes ont attribué beaucoup de victoires de M. Thatcher. En 1997, ils ont relevé le défi. La « méthode Wirthlin » ne consiste pas à déterminer des intentions de votes mais des critères de comportements électoraux. Cette différence permet d’explorer les stratégies et de déterminer les choix les plus efficaces. Les résultats permettent d’affiner la décision, de tester des comportements, de vérifier sans cesse les conséquences de telle ou telle attitude. En 1984, DMI, agence de R. Wirthlin, avait emmagasiné un nombre considérable de données résultats de 150 000 interviews d’américains répartis en 110 catégories et sous catégories d’électeurs.
Cette méthode est celle qui a conduit à la victoire en mai 1997. Au pouvoir Tony Blair a appliqué les méthodes de « campagne permanente ». Lors de la campagne de mai 2005 marquée par un nouveau succès dans des circonstances particulièrement délicates en raison de l’engagement en Irak, Tony Blair a gardé une « communication d’avance » tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, il a accepté d’assumer le face à face avec les citoyens dans des conditions que peu de leader contemporains ont mis en œuvre. Il en enduré les reproches, les colères … dans des conditions qui ne pouvaient que susciter l’émotion voire le soutien.
La colère s’est exprimée dans la campagne électorale et non pas par le vote.
Le vote est intervenu dans un contexte différent puisque la violence des critiques avait « purgé » le climat et permis presque un retour d’opinions favorables considérant que Tony Blair ne méritait pas de tels reproches. C’est un choix de dialogue opposé à celui mis en œuvre en France pour le référendum sur le traité européen. Loin d’aller à la rencontre de la « vraie opinion » le pouvoir a filtré les débats cherchant artificiellement à étoffer la colère populaire. Tony Blair l’a libérée pendant la campagne électorale allant au plus vif des rancoeurs pour les dégonfler avant le vote.
Sur la forme, c’est la première campagne électorale européenne qui ouvre une telle place à l’image. Le premier Ministre serait « usé » et voilà qu’il apparaît torse nu et musclé en 1ère page de tabloïds. Son épouse vante par ailleurs son « ardeur intime ». L’opinion pense que le 1er Ministre est « prisonnier » des spins doctors, ces professionnels de la communication qui programment chaque plan. Et voilà que son site internet s’ouvre à un suivi vidéo quotidien caméra à l’épaule digne d’un « amateur bien intentionné » avec saut d’images et problèmes de lumières ; du « live » digne des films familiaux.
Tony Blair a gardé une longueur d’avance.
Par contraste, les conservateurs ont mené une campagne triste, vieillote, indigne d’une capitale de la modernité. L’opinion publique en a conclu que l’avenir ne pouvait leur être confié.
Ce sont des "campagnes de légendes" de ce type que les élus et candidats UMP attendaient pensant que tout avait été préparé dans le moindre détail par la formation politique la plus puissante et moderne de la vie publique française.
La réalité semble toute différente. La présidentielle 2012 a-t-elle été préparée par l'UMP avec le professionnalisme nécessaire ? Une contestation interne nouvelle commence à voir le jour.